Colette Godard, la critique comme un art

A partir de 1970, depuis les colonnes du « Monde », elle a éclairé toute la vie du théâtre, en France et au-delà. Elle s’était retirée mais travaillait pour le Théâtre de la Ville. Ses livres, recueils d’articles ou essais, demeurent. Elle s’est éteinte le 31 décembre. Elle avait 96 ans.

On pensait souvent à elle. Et plus encore il y a deux jours, en rendant hommage à Odette Lumbroso. Les grands témoins des plus belles années du théâtre s’effacent. Colette Godard s’est éteinte hier. Née le 7 mars 1926 à Rouen, où ses parents s’étaient finalement installés, elle fut, pour tous les professionnels et les amateurs de théâtre, et pour ses confrères, un modèle, une référence de premier plan.

Elle racontait en riant, toujours, des années et des années après, ses débuts de journaliste à Radio-France. C’était le temps des télescripteurs et des dépêches. Aux jeunes de surveiller les crépitements…Un jour, on est le 11 octobre 1963, elle apporte une dépêche urgente aux hommes –c’était des hommes- de la rédaction. Edith Piaf est morte. Il faut bouleverser les journaux, sinon tous les programmes. Et quelques dizaines de minutes passent, une deuxième dép^che tombe. Jean Cocteau est mort. Il a eu une crise cardiaque en apprenant la mort de la Môme…

Autant dire que l’actualité était d’une importance extrême pour cette femme étonnante et d’une beauté singulière. Elle était la fille aux yeux d’or. Des yeux dorés de chat, un visage bien construit. On songeait à une déesse égyptienne en la voyant…

Ce charme ne fut pas rien dans l’ascendant qu’elle exerça. Elle rompait avec tout ce que l’on connaissait de la sévère et ennuyeuse parfois, critique dramatique. Il faut dire que dans les mêmes années, au Monde où elle était entrée en 1970 et où elle travailla jusqu’en 1995, régnait aussi, dans un autre style, une autre manière, tout aussi en rupture avec les traditions qu’elle, Michel Cournot.Un poète, un homme qui ne suivait pas les chemins balisés.

Colette Godard venait d’horizons lointains. Ses parents, Samuel Meghberg, juif d’origine géorgienne, sa mère juive de Russie, venaient d’Ukraine. Ils se réfugièrent en France vers 1910. A Rouen, où naquit Colette, le tailleur avait établi une manufacture de confection.

Les parents sont des passionnés de spectacles. On ne disait pas « spectacle vivant ». On disait théâtre, opérette, opéra, concerts, et les enfants, Colette et ses frères et sœurs furent plongés dans ce grand bain, sans oublier leur sens de la citoyenneté, leur courage. Colette Godard n’en faisait pas grand discours. Mais une partie de sa famille avait été raflée en 42, et elle, à son échelle, aidait la Résistance et fut confrontée à des drames profonds.

A la Libération, les journaux sont légion et c’est vers la presse qu’elle se tourne. Elle pense plus à l’information, au journalisme, qu’à la critique dramatique. Mais elle fut justement toujours journaliste avant d’être « critique ». Elle saisit le théâtre comme une matière vivante. De l’actualité pure et dure.

Elle aime l’illusion, le travestissement. Le maquillage. Les êtres qui traversent les murs. Elle donne autant d’importance à Strehler puis à Chéreau et Savary, qu’aux baraques de foire des boulevards du nord de Paris…Elle aime les grands classiques, comme les tout jeunes écrivains.

Elle a la voix un peu cassée des femmes de la nuit. Elle séduit, subjugue, elle est très intelligente et sait qu’alors elle peut faire la loi des spectacles. Mais le plus important, sans doute, c’est son écriture. Elle est une femme de style. En la lisant, on l’entend. Elle est magnifiquement sensible et l’encre de ses stylos, de ses machines à écrire, les impressions de ses ordinateurs, nous rendent proches les nuances de sa pensée, les nuances des spectacles dont elle parle. Une grande, un modèle. On peut la lire et la relire en nombreux ouvrages qui témoignent et éclairent l’histoire des spectacles, et sans doute sur le site de Radio France comme sur celui de l’INA, on peut la retrouver.

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