Adieu à Jacques Sereys

Il fut l’un des plus merveilleux interprètes de sa génération. Sociétaire honoraire de la Comédie-Française, il avait mis, ces dernières années, son immense talent et son coeur au service de très grands écrivains, son cher Marcel Proust en particulier. Il s’est éteint dans la nuit de la Saint-Sylvestre. Il avait 94 ans.

Dans le livre qu’elle consacre à ses souvenirs de la Comédie-Française, Aliette Martin, évoque Jacques Sereys dans son duo avec Denise Gence au coeur de La Trilogie de la Villégiature de Goldoni, dans la mise en scène historique de Giorgio Strehler. C’est Pierre Dux qui avait convaincu le directeur du Piccolo Teatro de Milan, de travailler avec la troupe. Un événement inoubliable, une des plus belles mises en scène qu’on puisse imaginer, un spectacle légendaire. « Le duo Denise Gence-Jacques Sereys », écrit-elle, « aussi poétique que drôle et touchant, un pur ravissement (…) ».

Plus loin, cette femme essentielle dans la vie de la maison, qui y demeura plus de quarante années, se souvient d’un autre moment. Il suffit à tout dire de l’immense artiste, hyper-sensible et pudique qu’était Jacques Sereys. « En 2008, j’ai assisté à côté de Jacques Sereys à une projection de La Villégiature au Studio-Théâtre. La veille au soir, il y avait eu une projection des Temps difficiles dans la mise en scène de Pierre Dux, avec Louis Seigner en tête de distribution. J’avais croisé Jacques Sereys et l’avait embrassé. Il avait éclaté en sanglots. Le lendemain, donc, Jacques Sereys, frais et rose, est venu s’asseoir à côté de moi et m’a dit : « Ne craignez rien, aujourd’hui, je ne pleure pas. » La veille, m’a-t-il expliqué, il avait été bouleversé par tant d’excellence. Ce que faisait Louis Seigner était de l’ordre de l’exceptionnel, de l’irremplaçable. C’était ce sentiment d’irremplaçable qui l’avait bouleversé. »

Irremplaçable : Jacques Sereys l’était, le fut, l’est. On ne fera pas ici le rappel d’un exceptionnel parcours. Il est raconté, très bien, sur tous les sites, dans tous les journaux. Souvenons-nous de la discipline profonde de cet homme généreux, aimant, capable d’être caustique -il n’aimait pas la bêtise non plus que l’arrogance.

Il apprenait tous ses textes par coeur, avec méthode, une infinie patience. Les derniers moments qu’il offrit au public sont magnifiques. Il célébrait Marcel Proust, bien avant que tout le monde ne s’en empare, anniversaire aidant. Il disait Proust, cette écriture, ce style. Il rendait vivante cette écriture.

L’ouvrage d’Aliette Martin, « Ma Comédie-Française, une histoire intime de la Maison de Molière ». Avec une préface de Denis Podalydès. Les Editions du Palais. 20€.