Avec Le Bonheur des uns, l’écrivain et metteur en scène, nous plonge dans les contradictions d’une société qui fonctionne par rigides injonctions. Quatre virtuoses sont sur le ring.
Côme de Bellescize est un classique. Un moraliste Grand Siècle -qui ne donne aucune leçon- mais dont la lucidité, teintée d’un pessimisme certain, agit au théâtre d’une manière fascinante. Il est à part. Il n’appartient à aucune école. Il est aussi original que libre.
S’il fallait trouver une manière commune à ses différentes pièces de théâtre, on dirait que la comédie légère, l’humour irrésistible, la sensibilité, peuvent basculer du côté de la farce cruelle, sinon de la tragédie épouvantable. Et d’un seul coup. En un instant. Comme un rappel cinglant le la réalité la plus éprouvante.
On rit. On rit beaucoup. Enormément. On rit et puis soudain tout se brise. Le spectateur prend une bonne claque. « Tu ne t’en tireras pas comme ça », semble-t-il nous dire…Et c’est souvent ce qui arrive aux protagonistes de ses pièces : ils croient que…mais ils se trompent. Jusqu’à quelques égarements qui font que du drame qui vous arracherait des larmes, vous rebasculez dans le rire le plus secouant…
Dans Le Bonheur des uns… sa nouvelle comédie, il nous laisse évidemment entendre que le malheur des autres n’est pas loin. Sauf que cela n’est pas si simple.
Dans un espace unique, un appartement d’aujourd’hui, réduit à des éléments de divan, , une scénographie de Camille Duchemin, on fait la connaissance de deux couples. Elle, Coralie Russier, Lui, David Houri. Ils sont obsédés par l’idée qu’ils ne sont pas complètement heureux…Ils se cherchent, en quelque sorte. En face, la Voisine, Eléonore Joncquez, le voisin, Vincent Joncquez, eux, paraissent épanouis. Elle a beaucoup à dire. Elle se fait une joie de prodiguer ses conseils…
N’en dévoilons pas plus car les leçons de méditation, de quête de bien être, etc… sont désopilantes et Eléonore Joncquez a trouvé une manière de s’exprimer, de chanter ses phrases comme font les femmes qui pensent qu’elles sont au meilleur d’elles-mêmes, qui est irrésistible. A ses côtés, Vincent Joncquez (mari à la scène comme à la ville, rappelons-le), haute silhouette dans un vaste pull orange et visage rayonnant de bonheur, est idéal et s’amuse bien David Houri, grave, inquiet devant les angoisses de son épouse, est remarquable. Très fin. Quant à la paniquée et désarmante « Elle », Coralie Russier lui donne son charme et son sens des nuances.
Il ne faut pas vous en dire plus. Comment tout bascule ? Ne le révélons pas ! Auteur, Côme de Bellescize poursuit ses interrogations sur notre société, comme il le faisait avec pièces, dont, par exemple le féroce Soyez vous-même. Mais tous ses textes sont taillés dans des interrogations sur notre monde, et le plus souvent des interrogations très graves. Ici, on est dans une comédie, qu’il avive comme une sorte de vaudeville, avant que le tragique ne déchire le voile des apparences.
Conforté par une équipe artistique excellente, avec costumes de Colombe Lauriot Prévost, son de Lucas Lelièvre, lumières de Thomas Costerg, régie de Manu Vidal, l’écrivain et metteur en scène signe un spectacle qui fait rire et pleurer, sans facilité aucune.
C’est vif et bref –une heure dix- tranchant. Un spectacle qui aurait dû être joué depuis plus d’un mois en tournée. Cachan l’a accueilli pour deux représentations professionnelles et l’on espère que l’on pourra retrouver Le Bonheur des uns, cet été, aux Béliers, à Avignon.
Spectacle vu au Théâtre de Cachan, le 13 avril 2021. Reprise espérée cet été, au Théâtre des Béliers, à Avignon. Texte publié aux Editions des Cygnes.