Ultra fine, magistrale mais sans aucune démonstration, elle subjugue le public du Studio-Théâtre dans « Le Silence de Molière ». On y entend Esprit-Madeleine Poquelin, fille de Jean-Baptiste et Armande Béjart, qui vécut loin du monde de ses parents. Une mise en scène d’Anne Kessler.
Dans une robe très belle, mais imposante, visage dégagé sous une perruque elle aussi imposante, Danièle Lebrun, une heure durant, est pour nous le « personnage » imaginé par l’écrivain italien, grand connaisseur de littérature française, Giovanni Macchia.
Ce moment rare est inscrit dans l’hommage copieux que la Comédie-Française rend à son « patron », Molière, alors que partout l’on célèbre les 400 ans de sa naissance.
On écrit « personnage », mais Jean-Baptiste Poquelin a bien eu des enfants. Comme il arrivait souvent jusqu’à l’orée du XXème siècle, d’ailleurs, les enfants ne vivent pas longtemps : Louis, l’aîné de la fratrie, meurt à quelques mois en novembre 1664, Marie en 1668, Pierre en 1672.
Esprit-Madeleine a vécu plus longtemps : baptisée à Paris, le 4 août 1665, elle s’éteint à Argenteuil, le 23 mai 1723. Elle avait 58 ans.
Le Silence de Molière a été publié en Italie en 1975 et traduit par Jean-Paul Manganaro et Camille Dumoulié en 1989. Lorsque l’écrivain italien composa ce texte, on ne savait pas encore l’exacte vérité sur Armande que les ennemis de Molière prétendaient être sa propre fille. Esprit-Madeleine fut au courant de ces infamies aujourd’hui démontrées totalement fausses.
C’est donc sur une souffrance profonde que Macchia donne la parole à cette femme qui a décidé de se retirer dans un couvent, mais comme une pensionnaire, non pas comme quelqu’un qui aurait pris le voile. On ne sait presque rien d’elle.
Le texte est beau et harmonieusement traduit. Assise sur une banquette étroite – sans dossier pour s’appuyer-, la comédienne utilise son bras gauche, rejeté en arrière, main dissimulée par les plis de la robe, pour soulager cette posture extrêmement difficile. Cela ne l’aide pas du tout.
Mais rien qui puisse interdire à ce talent immense, à ce grand caractère, de dire le texte avec une finesse bouleversante. Regard, timbre, tout palpite, mais sans tremblement. C’est comme si la tristesse infinie de cette femme envahissait l’espace. La banquette est installée à côté d’un miroir en biais, on ne distingue rien sur sa surface depuis la salle, si l’on est côté cour. Elle est entrée depuis jardin, elle se lève et y repart, dans les lumières douces d’Eric Dumas.
Dirigée par Anne Kessler, fine et sensible, comme toujours, Danièle Lebrun nous offre un moment rare, bouleversant, très beau. Trop peu de représentations, car les productions se succèdent. Mais espérons que plus tard, on pourra revoir ce moment pur et très intéressant.
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, jusqu’au 27 février. Durée : 1h00. Texte publié aux Editions Desjonquères, dans une traduction de Jean-Paul Manganaro et Camille Dumoulié.
Tél : 01 44 58 15 15