Danse « Delhi », nouveau regard

La création de la pièce d’Ivan Viripaev par Galin Stoev avait frappé. Dix ans plus tard, Gaëlle Hermant propose une version différente, elle aussi très bien interprétée, et très intéressante.

Le temps passe, mais les spectacles ne s’effacent pas tout à fait. C’était à la Colline, il y a dix ans déjà. Une histoire étrange, construite comme une suite, en répétitions et différences, dans un lieu unique –une salle d’attente d’hôpital- avec conversations, retour des mêmes personnages, sentiments contrastés, angoisses planantes, intervention d’une infirmière. Danse « Delhi » d’Ivan Viripaev, auteur russe qui était depuis quelques années traduit et joué en France, mais que l’on ne connaissait pas parfaitement, était mis en scène par Galin Stoev dans la version française de Tania Moguilevskaia et Gilles Morel, publiée par les Solitaires Intempestifs.

Un homme un peu seul et bien malmené…Jules Garreau par Simon Gosselin. DR.

Sans doute cette étrange pièce a-t-elle fait l’objet d’autres mises en scène, mais celle de Gaëlle Hermant, prévue il y a plusieurs mois mais empêchée par les confinements, va nous marquer, tout autant qu’au moment de sa découverte.

Danse « Delhi » est « une pièce en sept pièces ». Chaque moment est indiqué par un texte défilant qui donne le titre, tandis que la musique marque le début du spectacle et tient lieu de charnière entre les séquences. Cette musique, composition originale de Viviane Hélary, violoniste et multi instrumentiste, qui la joue en direct, chantant parfois, tient une place très importante dans la représentation, ainsi que le son de Léo Rossi-Roth.  Tout comme les lumières de Benoît Laurent, jouant sur les parois translucides de l’espace imaginé par Margot Clavières.

Laurence Roy et Manon Clavel. Photographie : Simon Gosselin. DR.

Gaëlle Hermant a soin d’un environnement qui dise à la fois une certaine réalité et ses fantasmagories. Elle s’appuie sur la traduction, réputée fidèle, de Tania Moguilevskaia et Gilles Morel, et sur une distribution de haute qualité. Saluons Jules Garreau, Andreï, unique personnage d’homme dans un monde qui réunit cinq partitions féminines. Il change de registre, de ton, comme change d’humeur cet Andreï, jamais tout à fait à la même place. Selon le principe même de la dramaturgie de Viripaev. Le rôle de l’infirmière est joué en alternance par Lina Alsayed et Kyra Krasniansky. C’est cette dernière que nous avons vue. Une belle personnalité, fine et nuancée, un personnage qui prend de plus en plus de place, au fil des « pièces ».  Au centre est Catherine, celle qui rit, celle qui pleure. Manon Clavel laisse sourdre les secrets d’une âme tourmentée, d’une jeune femme vibrante et comme affolée, parfois. C’est une interprétation puissante et jamais démonstrative. Mais souvent bouleversante. Marie Kauffmann est une Olga, perdue, assommée par les événements contrariants, une Olga dessinée avec fermeté et sensibilité.

A gauche, dans sa boîte de verre, la musicienne Viviane Hélary. Photo : Simon Gosselin. DR.

Enfin il est, sur ce plateau, deux aînées. L’une est « la femme âgée », ce que ne sera jamais Laurence Roy, avec ce beau visage et ces yeux qui prennent la lumière. Mais elle est ici l’aînée, celle qu’il faudrait écouter…Elle intervient beaucoup, d’une séquence à l’autre. Jeu fin et aigu, accordé à l’écriture. L’autre est « la mère ». On vient de l’applaudir dans Harvey de Mary Chase, mise en scène de Laurent Pelly, au côté de Jacques Gamblin. Epatante et drôlissime et on la retrouve, touchante et énigmatique, insaisissable femme aux sentiments mélangés : Christine Brücher, une reine.

Gaëlle Hermant étoffe bien ce texte bizarre, cette composition discordante. Trouve de justes rythme, respecte les ruptures, sans perdre le fil, sans égarer le spectateur. Elle souligne la construction sans forcer, et, on l’a dit, donne une place importante à la musique et à l’instrumentaliste qui danse derrière la paroi troublée. La Danse « Delhi », souvenir ou recomposition,imagination, fantasme, on ne la verra jamais, bien sûr.

Théâtre Gérard-Philipe, jusqu’au 22 octobre, à 20h00. Tél : 01 48 13 70 00. Durée : 2H00.

www.theatregerardphilipe.com.

 Puis en janvier 2022 à Marseille, La Criée, du 18 au 20 janvier, à Plaisir, au Théâtre Eurydice, les 28 et 29 janvier, puis à Saint-Quentin en Yvelines, les 14 et 15 juin.

Les textes d’Ivan Viripaev sont publiés aux Solitaires Intempestifs.

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