Dominique Blanc, sujet du Bac

Des pièces, des auteurs, on les imagine bien pouvoir être au programme du baccalauréat spécialité théâtre. Mais une comédienne ! Pour les années 2024-2025, l’inoubliable Phèdre de la mise en scène de Patrice Chéreau a été choisie.  Un livre au titre peu éloquent, Chantiers, je lui est consacré.

Pourquoi avoir choisi ce titre abscons pour un ouvrage qui se lit avec plaisir et est en principe destiné à des lycéens préparant le bac théâtre et à leurs professeurs. Peut-être y-a-t-il dans cette formule une référence, une allusion ? Mais nous ne voyons pas lesquelles.

Dans l’avant-propos, Dominique Blanc explique qu’elle a choisi le mot chantier en référence à ses « années d’architecture ». Entendez, ses années d’étude. Elle précise : « Le « je », c’est le jeu, c’est s’emparer de soi : devenir soi-même à travers les autres. »  Mais « Chantiers, je » demeure inutilement sophistiqué.

Le livre est un peu une biographie, un peu un portrait de Dominique Blanc, aujourd’hui sociétaire de la Comédie-Française. Il a été composé pour étayer le choix de Patrick Laudet, agrégé de lettres, longtemps professeur en classes préparatoires, inspecteur au ministère de l’Education nationale en charge de l’enseignement du théâtre. Marié et père de famille, il est diacre. Une personnalité forte, on l’imagine. Et de Lyon, comme Dominique Blanc.

Trois enseignants de français sont les architectes de l’ouvrage. Dominique Blanc a choisi trois spectacles importants de son parcours, et, autour des productions, se développe le livre, très intéressant et très touchant, en trois copieux entretiens.

En ouverture, un texte d’une trentaine de pages écrit par Dominique Blanc elle-même et qui commence par sa naissance…Elle raconte son enfance lyonnaise, évoque sa famille, ses goûts, ses élans, ses rêves. Elle rend hommage à celles et ceux qui ont jalonné son parcours. Madame Gerbe, la prof qui l’ouvre au théâtre. Les spectacles qu’elle a eu la chance voir. Chéreau déjà. Elle pense à la psychiatrie, mais elle s’engage dans deux années d’architecture à Lyon. Tristes et grises. A Paris, elle trouve sa voie grâce à François Florent, à Pierre Romans qui la signale à Patrice Chéreau et, alors qu’elle a été refusé trois fois au conservatoire, elle débute magistralement…

Les trois pièces qu’elle a retenues sont effectivement des jalons très éloquents de son chemin. Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, mise en scène de Jean-Pierre Vincent en 1987. Elle sera une craquante Suzanne. Elle ne cache pas qu’elle aurait imaginé jouer la Comtesse. Elle se livre aux trois professeurs : Alexandra von Bomhard, Laurent Digonnet, Dominik Manns. Ce spectacle connut un extraordinaire succès : joie, esprit, insolence et talents ligués.

On passe à Phèdre de Racine, une mise en scène de Patrice Chéreau. On est en 2003, le spectacle marque l’inauguration des Ateliers Berthier-Odéon. Il faut lire de près cette partie. Elle est très troublante car on prend de plein fouet une réalité dérangeante : aussi louée soit l’interprète, elle se sent « abandonnée » par le metteur en scène qui lâche d’ailleurs les comédiens, à peine passée la première, pour courir à New York. Il rêve alors d’un film sur Napoléon avec Al Pacino.

Dominique Blanc ne cache pas la terrible dépression qui la saisit en sortant de cette aventure. Les professeurs questionnent sans les réserves que peuvent avoir les journalistes, beaucoup plus délicats qu’ils n’apparaissent à tel ou tel propos. Cette manière directe d’interroger conduit l’artiste à une franchise sans précaution. En tout cas, elle en donne le sentiment sur plusieurs points.

Elle s’interroge sur la suite de sa vie et de son parcours. Elle refuse de toutes ses fibres l’idée du théâtre privé, mais elle devrait savoir qu’aujourd’hui de grands acteurs s’engagent. Le public peut y bénéficier de prix beaucoup plus accessibles qu’au Français….

Sociétaire de la Comédie-Française, elle raconte l’aventure époustouflante d’Angels in America de Tony Kushner, mise en scène d’Arnaud Desplechin. Elle interprète, comme l’avait souhaité l’écrivain, mort prématurément, six personnages ! Hommes et femmes. On nous dévoile tous les secrets du marathon. Les petits, deux costumières, des perruques idéales, des maquillages qui peuvent se compléter. Elle est fascinante. Bouleversante. C’est Dominique Blanc.  

Actes Sud, Collection le Temps du Théâtre, 19,80€.