La première fois, c’était en 2006. Jamais oublié le texte, l’interprète. Seul. Jean-René Lemoine. Aujourd’hui, le même texte bouleversant et tendu. Le même interprète dans l’écrin de lumières, de sons, de musiques de Guy Cassiers.
On entend la mer. On entend la mer dans les textes de Jean-René Lemoine. Dans tous ses textes. Pourquoi ? Impression des premières rencontres. C’est loin, 2006. Combien de textes lus, combien de spectacles vus ? Combien d’autres écrits de Jean-René Lemoine et combien de mises en scène ?
La première fois, que l’on a vu et entendu Face à la mère, on a retenu la nuit, la peur, le vent de la mer. L’angoisse enveloppante. La mort. On a surtout retenu Haïti. Sans oublier l’Afrique, Bruxelles, Paris. Il y avait un homme, jeune, fin, presque frêle, qui disait un texte d’une langue puissante et qui brillait de mille et une nuances nocturnes. Il racontait. On le suivait. Enfant de l’île, embarqué dans les aventures des parents. En Afrique, car le père est diplomate, puis en Belgique, pour faire de bonnes, de solides études.
D’un continent à l’autre, des années 60 –le narrateur est né en 1959- aux années 90, le temps qu’un petit garçon et sa sœur deviennent adultes. Le temps que leurs parents, vivent leurs vies, séparés. Un jour la mère voudra retourner en Haïti. La sœur appellera le frère pour lui dire l’atroce assassinat de cette mère.
En 2006, la manière rigoureuse et ultra-sensible, mais tenue, tendue, sans excès d’affect, dont Jean-René Lemoine se présentait, debout, face au public de la MC93, imposa le grand texte d’un auteur remarquable et l’art d’un artiste interprète singulier.
Depuis, il a écrit, joué, mis en scène d’autres textes que les siens. Sans osciller, sans faiblir. Avec une maturité de plus en plus éclatante. Et une discrétion, une manière de ne jamais se mettre dans la pleine lumière sans fausse modestie aucune. Un homme pudique, noble, curieux des autres.
C’est Hortense Archambault, remarquable directrice de la MC93, où elle présente une programmation exigeante, audacieuse, « élitaire pour tous », et où elle a réussi à fidéliser un public jeune, divers, un public qui se renouvelle et est curieux, un public qui aime découvrir les propositions qu’on lui soumet, c’est Hortense Archambault qui a fait lire Face à la mère à Guy Cassiers. Un grand artiste.
On s’étonne qu’il avoue, dans le texte de présentation, ne pas avoir su, avant cette approche de la langue d’un écrivain né en Haïti, les liens de ce pays unique avec la France. Le lien de la langue, les déchirements que rien ne saurait suturer.
On se souvient alors qu’il avait mis en scène, en 2011, à Anvers, puis dans la cour d’Honneur du palais des Papes d’Avignon, une pièce de Tom Lanoye liant Jeanne d’Arc et Gilles de Rais. Il donnait le sentiment de découvrir cette histoire…
Ainsi donc, de Belgique, des Pays-Bas jusqu’en France, une ignorance existe. Mais qui en France, parmi les spectateurs, maîtrisait-il les cruautés japonaises en Indonésie qui furent le cœur de grandes mises en scène de Guy Cassiers ?
Ce n’est plus un jeune homme qui se tient debout, devant nous. Il a quelques années de plus. Il était très mince. Le visage s’est émacié, les cheveux sont gris. Nimbé de lumière, porté sans démonstration par le son, le jeu des lumières, les mouvements des cadres, la sophistication des variations de voix, le jeu du direct aux reprises off, micros, intensités variables, mouvements imperceptibles, tout palpite sans corroder la force du texte.
La voix n’a pas changé. C’est Jean-René Lemoine dans sa plus bouleversante présence.
MC93 de Bobigny, du mercredi au vendredi à jusqu’au 19 octobre. Le samedi à 18h30, le dimanche à 15h30. Durée : 1h30. Jusqu’au 19 octobre. Tél : 01 41 60 72 72.
Texte publié aux Solitaires intempestifs.
Tournée :
Après deux soirs au Caire dans le cadre d’un festival les 25 et 26 octobre, Amiens les 6 et 7 novembre, Le Havre 12 et 1 » novembre, Valenciennes le 18 novembre, Orléans les 5 et 6 février, Agora Desnos de l’Essonne, les 20 et 21 mars, Annecy du 16 au 18 avril, Valence les 6 et 7 mai.