Figure sacrée et sacré râleur

Catherine D’At dirige Julien Bleitrach dans une adaptation de Soif d’Amélie Nothomb, texte insolent sur Jésus. Beaucoup de vidéo et un interprète engagé de toutes ses fibres.

Comme chacun le sait, il y a, en ce qu’elle a de plus singulier, une sacrée gamine en Amélie Nothomb. Une insolente, et même, pour l’apparence, une désinvolte. Pour l’apparence. Car si elle n’a jamais refusé les gamineries, les plaisanteries narquoises, elle est une femme très sérieuse, très cultivée, volontiers joueuse, mais jamais sottement agressive.

Avec Soif, publié en 2019, elle évoque un Jésus-Christ à la veille de la crucifixion. Il a peur. Il imagine l’atroce douleur des clous enfoncés dans les paumes des mains, ces mains qui vont se déchirer sous son poids, cette torture épouvantable que tout familier des églises, que tout fidèle chrétien, peut contempler par les images de la croix, par les crucifix, par tout un système de représentation. Un système muet. On ne s’interroge jamais sur la vérité de l’image, sur la vérité des faits.

Amélie Nothomb, dans ce livre, est acide, souvent ironique. C’est en tout cas le sentiment qui saisit le lecteur. Il y a une place pour le sourire, pour le rire. Pas de place pour le blasphème. De la place pour le sérieux et la gravité.

Catherine D’At, metteur en scène qui travaille notamment auprès d’André Dussollier, adapte le texte et choisit un comédien aux fluidités de danseur, pour incarner ce Jésus-Christ. Julien Bleitrach est un excellent comédien. Vif, sérieux, voix très bien placée, en tee-shirt et blue jean, pieds nus, barbe vague, regard sans faiblesse. Domine d’entrée le râleur, le sacré râleur. Rien ne va. Il anticipe la torture de la crucifixion.

Dans la toute petite salle Roland-Topor, le grenier du Théâtre du Rond-Point, on est écrasé par la lumière intense de deux rampes agressives et par la chaleur qu’elles dégagent, en plus. Les spectateurs perdent très vite toute concentration…

Et puis cela commence dans une intensité lumineuse encore plus violente signée Emmanuelle Philippeau-Viallard. Un effet. La vidéo est immédiatement présente, très sophistiquée, signée de Sébastien Mizermont, suivant la scénographie de Cécilia Delestre dont les contours sont sans cesse métamorphosés. Cela donne un côté cinémascope à la représentation. Le tout accentué par des flots de musique, des choix qui viennent sans doute de la metteuse en scène, du son. L’ensemble étant réglé par Michel Winogradoff, un as.

Mais disons-le, on n’est pas certain de l’utilité de ce déploiement très lourd, puisque tout tient ici aux paroles d’Amélie Nothomb, aux paroles qu’elle prête à ce Jésus qui a peur, telles que les relaye l’adaptatrice et metteuse en scène.

Le principal atout du spectacle, est, clairement, le délié Julien Bleitrach. Très bien dirigé par Catherine D’At. Le comédien-danseur-acrobate ne faiblit jamais. Il est toujours sur le fil. Impeccable et vraisemblable. Il court, il saute, il prend à témoin le public, il ne lâche jamais son souffle, il s’allonge, il se relève, il passe par de nombreux états d’âme contradictoires. La présence profonde du comédien, efface tout effet de BD. C’est Julien Bleitrach qui renoue avec le sens. Que l’on soit ou non croyant,

Théâtre du Rond-Point, à 20h30 du mardi au samedi, dimanche à 15h30. Sauf le dimanche 12 mars. Jusqu’au 26 mars. Durée : 1h10. Tél : 01 44 95 98 21.

www.theatredurondpoint.fr