Depuis des années, et en interprétant parfois longtemps les spectacles qu’il compose, cet artiste à l’esprit scientifique et à l’âme poétique, régale des générations de spectateurs de promenades jubilatoires au pays de la logique et de ses échappées.
Un jongleur. C’est un jongleur. Des mots, des sentiments, des interrogations. Un éternel jeune homme qui n’a plus vingt ans mais qui a conservé la silhouette d’un adolescent, flottant dans des vêtements un peu vagues. Il est déjà en scène, appuyé à la renverse du côté de la double échelle qui mène au ciel et au printemps des feuilles éloquentes.
C’est avec conviction qu’il prendra la parole : il s’agit qu’on le croie. Il n’est pas dupe des effets qu’il a concocté poussant la langue française jusqu’à ses logiques conclusions. Il est drôle à lire, Gauthier Fourcade, mais irrésistible à écouter. Il a une forte personnalité, une poésie de tout l’être. Il pourrait être un clown, mais il n’y a en lui, le joueur, aucune agressivité, aucune colère, aucun éclat de voix.
On a beaucoup évoqué Raymond Devos, pour les raisonnements, les vertiges de la logique, les chocs sémantiques. L’effervescence des sens. Mais, par son savoir très vaste, son goût pour les mathématiques, les sciences, la sens, on pense aussi à Jacques Roubaud, qui vient de s’absenter de la Terre, et qui aima le théâtre de la langue. Il n’était pas comédien, Roubaud, mais sa longue silhouette, sa dégaine, lui donnaient l’air d’un acrobate.
Le spectacle que l’on applaudit à la Manufacture des Abbesses ces temps-ci, s’intitule Le Sens de la Vie est-il un 6ème sens….ou celui des aiguilles d’une montre ?
Un décor simple, un tapis de sol, comme un cercle, comme une Terre, les échelles-arbre dont on a parlé, un ceinture de boules d’inégale taille, des planètes en papiers froissés qu’il déploiera pour y lire, des textes, des réponses, des énigmes. Cette scénographie de Blandine Vieillo est animée par les lumières d’Hervé Bontemps. C’est léger comme l’artiste que dirige, avec précision et tact, Vanessa Sanchez. Elle a compris au plus profond et l’auteur, et le propos et l’interprète.
Autant dire que l’on est ici dans la félicité, la jubilation. On est en enfance, ébloui, émerveillé par les miracles de la présence du magicien acrobate et la force des mots qui s’unissent, se télescopent, pensent, comme des êtres indépendants qui décident de nous délivrer des secrets, des images, tous plus réjouissants les uns que les autres.
Bien au-delà des discours quotidiens et des conflits psychologiques qui encombrent les scènes, Gauthier Fourcade nous conduit loin des pesanteurs prosaïques qui plombent. Les spectateurs sont heureux. Ils sortent lavés de toutes les pensées médiocres et toxiques qui empoisonnent au jour le jour. Mais sans aveuglement lénifiant. En toute lucidité.
Fin, tout en moirures de jeu et de regards, Gauthier Fourcade, fait rêver et éveille. D’un même mouvement.
Manufacture des Abbesses, du mercredi au samedi à 19h00. Tél : 01 42 33 42 03. Web : manufacturedesabbesses.com Durée : 1h15. Jusqu’au 15 mars. Plusieurs des textes sont en vente au théâtre.