Au Poche, Gérard Rauber a réuni, sous le titre « Fatatras », des textes variés du poète. Anne Baquet et Jean-Paul Farré qui jouent, chantent, dansent, s’amusent avec des instruments singuliers, offrent leurs talents moirés à cette célébration heureuse.
Le parti pris du bonheur. Ici, c’est la joie qui domine, l’esprit d’enfance qui anime les interprètes. Parfois, pourtant, noirceur grinçante, férocité glaçante, font exploser la joliesse ravissante de la représentation. Jacques Prévert, grand écrivain, est aussi un homme d’une lucidité lumineuse. Il voit la cruauté, la méchanceté. Il les combat avec ironie. Et ce Jacques Prévert là n’est pas du tout oublié, dans ce parcours.
Il est présent en contrepoint. Le fil politique de l’engagement, du groupe Octobre, du communisme, du surréalisme militant, de la haine des pouvoirs agressifs, n’est en rien occulté. Mais il surgit ici dans des cadres sans raideur et Fatatras appartient au royaume de la fantaisie.
Dans un décor tout de trouvailles et de charme signé Marguerite Danguy Des Déserts, des couleurs, des matières, des malles aux trésors, des instruments de musique étonnants, des costumes amusants, les deux interprètes très doués s’en donnent à cœur-joie. Gérard Rauber, qui a imaginé la mise en scène, imprime un rythme très vif à la représentation. Pas une seconde à perdre. Nos deux héros enchaînent avec bonne humeur, et grand talent, les poèmes, les chansons, les fragments, les histoires, les sketches. Elle, chanteuse accomplie, soprane à voix très pure, timbre chaud, sens des nuances délicates, comédienne fine. Lui, acteur au large spectre, aussi tragique que drôle, lorsqu’il le faut, pianiste sûr qui sait chanter et parfaitement bouger sur un plateau. Ils étaient faits pour partager cette aventure aérienne qui fait sourire et émeut.
De « La Pêche à la baleine », à « Inventaire », il y a évidemment les airs entêtants de Joseph Kosma. Cela ajoute de la grâce à la grâce. L’ensemble des compositions est arrangé par Damien Nédonchelle.
On est séduit par chacun des moments de ce parcours. On devine que le metteur en scène admire ces deux « enfants expérimentés » (comme disait Peter Brook, parlant des artistes).
Elle avec son doux regard, sa blondeur et ses couettes, lui avec son œil perçant, sa chevelure de ludion du vent, sa voix qui est parfois comme une plainte d’enfant qui veut qu’on l’aime, tous deux avec leurs audaces, leur merveilleuse intelligence des textes, leurs humeurs mutines ou graves, nous enchantent.
Le spectacle passe comme un souffle. On prendrait bien encore des éclaboussures de poésie, comme écume au bord de la mer. Ils sont renversants, l’un comme l’autre.
Et Fatatras s’adresse au meilleur de nos cœurs mais aussi à tous les enfants. Sages ou moins sages
Théâtre de Poche-Montparnasse, à 19h00 du mardi au samedi et le dimanche à 15h00. Durée : 1h15. Jusqu’au 3 mars 1924. Tél : 01 45 44 50 21.