Très bien mis en scène par Charlotte Lévy-Markovitch qui signe l’adaptation du texte insolent et sulfureux de Serge Gainsbourg, « Evguénie Sokolov », l’interprète toujours magnifique, nous émeut, nous fait rire !
Blue jean –c’est l’unique sorte de pantalon que porte le héros, et il explique pourquoi dans ce monologue !- veston, chemise blanche, Jean-Quentin Châtelain apparaît mince et jeune sur le large plateau, enveloppé de gradins, du Petit Saint-Martin. Une salle très agréable à la programmation intéressante.
Le texte de Serge Gainsbourg, Evguénie Sokolov est d’une écriture magistrale. Il savait y faire ! Il maîtrisait cadences et mots exacts. Il raconte une histoire cocasse, grossière, insolente avec des poussées dérangeantes d’une perversité certaine –c’est le personnage ! Mais il le disait : « Evguénie Sokolov à priori c’est moi, avec une distorsion Francis Bacon, c’est un truqueur, comme je suis un truqueur, qui finit sa vie comme il l’a commencée, dans les affres d’un tricheur. C’est un pamphlet à propos de la peinture moderne. »
Charlotte Lévy-Markovitch, formée comme danseuse et comédienne, modèle de nombreux photographes, a joué sous la direction d’Elisabeth Chailloux et du regretté Adel Hakim, notamment, mais pris des chemins assez éloignés des tréteaux. Elle y est revenue avec ce texte dont l’écriture est éblouissante. Elle l’a adapté. Il y a un an, Jean-Quentin Châtelain en avait donné une lecture à la Maison de la Poésie.
Voici donc le spectacle. Il est formidable. Pas de décor, juste cet homme sur le plateau, mais pris dans les lumières d’un grand maître, Eric Soyer, le compagnon de travail de Joël Pommerat. Un découpage excellent, une bande son et musique très pertinente, et une direction de jeu formidablement intelligente.
Le bref roman, « conte parabolique » de Serge Gainsbourg parle d’un homme affligé d’une circulation gastrique qui en ferait un pétomane de foire. Dès l’enfance il est en proie à cette terrible particularité. Un roman d’apprentissage, de l’école au service militaire, désopilant. D’une cocasserie réjouissante.
La vie le conduit au Beaux-Arts. Il dessine, il aime la peinture, se balade au Louvre. C’est fou comme l’auteur sait enchaîner les épisodes d’une manière fluide et vive !
Il peint, dessine et un jour, accidentellement, à cause des vents qui le secoue parfois en rafales, trouve un système qui ravit un galériste à la mode. Dès lors, il devient riche et célèbre –sous un nom d’emprunt- mais il est obligé de fournir des œuvres sans cesse…
Dans ce texte, qui date de 1980 et fut publié chez Gallimard, Serge Gainsbourg, qui, on le sait, commença par être peintre et aimait Francis Bacon, fustige le marché de l’art, l’arrogance et le mensonge. Les trucages et le grand n’importe quoi de l’art contemporain.
Sur le plateau, Jean-Quentin Châtelain est magnifique. Il dit, il court, il vole, il danse. Il est très bien dirigé. Il y a tout. L’humour et le malheur, la simplicité enfantine et la perversité, à la fin, lors de sa rencontre avec une petite fille. Une fascination assumée… La voix aux articulations si particulières, son accent suisse et ce timbre qui a quelque chose de la plainte d’une âme en souffrance conviennent particulièrement à Evguénie.
Un moment de théâtre corsé, puissant aussi drôle que déchirant.
Petit Saint-Martin, à 19h00 du mardi au samedi. Durée : 1h10. Tél : 01 42 08 00 32. Texte de Serge Gainsbourg publié chez Gallimard.
A l’affiche du Petit Saint-Martin en ce moment, la reprise du merveilleux spectacle mis en scène par Anne Kessler Des fleurs pour Algernon, interprété par le bouleversant Grégory Gadebois. A 21h00 du mardi au samedi.
Et, le dimanche à 18h00 et le lundi à 20h00, à partir du 10 février, Motel, première création d’une jeune troupe issue du conservatoire.