Une interprète exceptionnelle, Agathe Quelquejay, qui aime le poète depuis l’adolescence, un metteur en scène ultra-sensible, Guy-Pierre Couleau, une salle faite pour l’intimité, l’Essaion. Un titre qui peut interloquer, Rossignol à la langue pourrie. Mais chacun reçoit au plus profond les poèmes, les visions, d’un écrivain qu’il faut lire et relire sans cesse.
Quand on se rend chaque soir au théâtre et qu’enfin l’on a le privilège d’assister à un moment aussi sublime que ce Rossignol à la langue pourrie, on s’en veut d’avoir tant tardé. D’avoir raté un rendez-vous avec une heure bouleversante de théâtre, de poésie pure. Grandeur, beauté, sincérité, perfection de l’interprétation, tout, ici, subjugue.
Une heure dans une semi-pénombre, avec un éclairage très équilibré de flammes vacillantes dans leurs verres de différentes tailles. Une installation de Laurent Schneegans. Une heure en six mouvements séparés par de brèves, mais très prenantes, interventions de la musique, puisée avec pertinence dans les nappes mélancoliques de notre temps, voix sourdes et belles, déchirantes. Le titre des textes est projeté sur le mur. Tout est donné dans une fluidité enivrante.
Guy-Pierre Couleau est un metteur en scène au trait sûr. Il sait utiliser les espaces, décider des enchaînements, trouver les mouvements. Il dirige, comme un chorégraphe et musicien, Agathe Quelquejay, elle-même portée par le souffle profond de Jehan-Rictus. Les poèmes s’enchaînent en une fluidité fascinante, tandis que l’interprète, fine, frêle, magnifique, se plie aux passages. Les vêtements s’effacent, se complètent, dans un registre assez asexué, qui se clôt dans les plis d’une robe, sculpture fragile et pourtant majestueuse, dessinée par Delphine Capossela.
C’est comme un chant qui ne finirait jamais. La langue inventive, la langue vraie du peuple, nous parvient avec une précision d’autant plus magnifique qu’Agathe Quelquejay a intériorisé ces textes depuis l’adolescence. C’est alors qu’elle a découvert Jehan-Rictus, c’est alors qu’elle s’est dit qu’un jour elle porterait ces textes sur scène.
Comment être à la hauteur de ce moment si haut, si beau, tellement accessible, en même temps. La suite des textes est finement organisée. Ils viennent du recueil Le Cœur populaire. Ainsi s’enchaînent « Les Petites baraques », « La Frousse », « Idylle », « La Charlotte prie Notre-Dame durant la nuit du réveillon », « Berceuse pour un Pas-de-Chance », « Jasante de la vieille », texte qui date de 1902.
« BONJOUR… C’est moi… moi ta m’man
J’suis là… d’vant toi… au cimetière
(Aujord’hui y’ aura juste un an
Un an passé d’pis ton affaire.)
Louis?
Mon petit… m’entends-tu seul’ment ?
T’entends-ty ta pauv’moman d’mère
Ta » Vieille « , comm’tu disais dans l’temps
Ta » Vieille « : qu’alle est v’nue aujord’hui
Malgré la bouillasse et la puïe
Et malgré qu’ça soye loin… Ivry ! »
Ecoutez ces « récits d’amour et de misère en langue populaire », écoutez Agathe Quelquejay, lisez Jehan-Rictus. Nombre de ses textes, de ses poèmes, sont accessibles gratuitement sur internet. Et les livres sont édités en formats très accessibles.
Voyez ce spectacle qui nous entraîne au plus haut des sentiments humains et nous parle d’aujourd’hui même.
Théâtre Essaion, jusqu’au 2 novembre, les vendredi et samedi à 21h00, puis du 8 novembre au 4 janvier 2025, les vendredi et samedi à 19h15. Tél : 01 42 78 46 42. essaionreservations@gmail.com