« Lapin » :  jouer avec le public

Ecrite rapidement sous la contrainte des événements, écrite pour Muriel Robin et pour Pierre Arditi, la comédie de Samuel Benchetrit, actuellement à l’affiche d’Edouard VII, est une variation sur les jeux de la réalité et de la fiction. Rires, sourires, émotion, saluent un duo de virtuoses.

Pour la première fois réunis sur un plateau de théâtre, Muriel Robin et Pierre Arditi incarnent, avec une franchise de camarades et une subtilité d’âmes parfois tourmentées, une entente sincère et moirée. Cette entente séduit le public, heureux de voir réunis ces deux grands interprètes. En découvrant la situation réaliste/irréaliste, on pense à la formule de Michel Bouquet, souvent citée par Fabrice Luchini. Il parlait du public, des spectateurs : « Ils ne sont pas venus te voir jouer, ils sont venus jouer avec toi. »

Et ici, dans cette belle et grande salle d’Edouard VII, c’est exactement cela : les spectateurs acceptent le jeu, le jouent, partageant avec générosité l’étrangeté de la situation.

Soit un homme, dans la pénombre de son salon, écoutant de la musique. On devine une sonnette qui insiste, derrière la porte. Il sort de sa songerie et va ouvrir. Tout commence là : c’est Muriel Robin, elle vient dîner avec son ami Pierre Arditi, comme chaque lundi, soir de relâche. Il a oublié. Tant pis, on va commander une collation rapide…Mais soudain, effrayée, n’en croyant pas ses yeux, Muriel Robin découvre la salle, le public. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Une histoire amusée, amusante, une histoire blagueuse et grave pourtant. Une variation sur le théâtre dans le théâtre, version Samuel Benchetrit, avec cet esprit si particulier qu’il met en toute chose. Un humour très singulier, qui dit l’enfance, comme pour mieux se défendre de la cruauté du monde. Qui dit, ici, l’enfant qui est au cœur de chaque comédien, et sa vulnérabilité.

Quelques allusions à la vie « vraie » de chacun, quelques clins d’œil aux camarades, jusqu’à les griffer comme chats en bagarres ludiques, François Berléand, Fabrice Luchini. Quelques considérations sur le métier, la vie, le destin, la fatalité d’une vocation. Les rêves, jusqu’aux cauchemars mis en abyme.

Pantalon grège, chemisier blanc, cheveux courts, regards changeants, expressions éloquentes, présence élégante, Muriel Robin, solaire et grande-sœur, ou marraine de conte de fées, impose sa personnalité tout en nuances. Une grande comédienne dans l’éclat du jeu. Face à elle, tout de noir vêtu, cheveux blancs, mince, visage de paix, Pierre Arditi est ici celui dont, en « vrai », ces dernières semaines, la santé a vacillé gravement. Celui qui ne peut vivre sans jouer et qui, après deux interruptions des représentations, reprend, comme si de rien. Séduisant, sensible, sombre et ardent à la fois, chagrin, comme l’est le « personnage ». Et interprète très complice avec son amie Muriel, partenaire idéale.

Ils n’ont joué devant le public qu’une quinzaine de fois, quand ils devraient en être à la quarantième.  Cela donne de la fraîcheur à leur échange très maîtrisé. Rien de mécanique. Ils sont finement dirigés par l’auteur qui a imaginé un spectateur un peu interventionniste que joue Gabor Rassov en alternance avec Sébastien Coutant. Une autre manière de permettre au public de jouer avec eux.  

Et le lapin ? Qu’est-ce qu’il fait le lapin ? Chut !

Théâtre Edouard-VII, du mercredi au samedi à 20h00, en matinées le samedi à 16h30 et le dimanche à 15h00. Durée : 1h30. Tél : 01 47 42 59 92 et theatreedouard7.com

Texte publié par L’Avant-scène théâtre, distribution Les Belles Lettres (14€).