« Le jour du Kiwi », le jeu des ressemblances

Pour la première fois réunis au théâtre, Gérard Jugnot et son fils Arthur Jugnot, incarnent justement un père et un fils dans une histoire bizarre. Avec la délicieuse Florence Pernel et la jeune Elsa Rozenknop, ils font rire un public qui les aime. Mais on est troublé par une ressemblance qui n’est pas seulement celle des protagonistes.

On est averti : « inspiré d’une histoire vraie ». C’est écrit partout et c’est même annoncé oralement à l’orée des représentations de la comédie de Laetitia Colombani mise en scène par Ladislas Chollat.  Autre précision, cette comédie est « inédite ». Qu’elle ne soit pas éditée, d’accord, mais le nœud de l’intrigue, lui, n’est pas inédit. « L’histoire vraie » se réfère à un fait divers qui eut lieu au Japon en 2008. Il y a bien longtemps.  

Le Jour du Kiwi est une pièce sympathique qui permet donc à un père et à un fils de jouer ensemble…un père et un fils. Mais en fait, la pièce n’est pas du tout construite sur ce lien même si le fils, Arthur Jugnot, pilote de ligne, se soucie beaucoup de son père, Gérard Jugnot, virtuose des lettres de réclamation et des demandes de compensations financières…Un veuf obsédé et méticuleux dans son petit pull Jacquard, un homme vulnérable qui s’allonge régulièrement sur le divan d’une psychanalyste qu’incarne avec sa grâce lumineuse, Florence Pernel. La tournette fonctionne à tout va ! Bientôt on découvrira la jeune femme que dessine avec efficacité Elsa Rozenknop.  Pourquoi faudrait-il en dire plus ? Le public rit tant que l’on perd certaines répliques…

Jugnot père, avec sa silhouette moelleuse, son air faussement naïf, est irrésistible et d’autant plus que les spectateurs sont trop heureux de le retrouver. Depuis une dizaine d’années, le réalisateur à succès de Monsieur Batignole, revient régulièrement à l’affiche. Quant à Arthur Jugnot, longue silhouette et visage un peu noyé d’une barbe sombre, il est totalement engagé dans la vie du théâtre, en dirigeant des salles, Les Béliers, à Paris et Avignon, en programmant, en jouant. C’est toujours joli, les complicités familiales déplacées sur les complicités de l’art. Et l’on est ravi, on les admire. Leurs partenaires sont idéales.

Le fait divers ? L’intrigue ? Il s’agit d’un homme assez seul qui va s’apercevoir qu’en son absence, une jeune femme s’introduit chez lui…

Le spectacle Le Jour du Kiwi n’est pas la première occurrence de la comédie : il existe une version télévisée dans laquelle Laetitia Colombani interprète elle-même le rôle de l’analyste, incarnée aujourd’hui par Florence Pernel. On ignorait cette production, mais en découvrant le spectacle, efficace et bien mis en scène, on y est renvoyé, sur le web.

Mais on est surtout renvoyé à un livre, très connu, et à son adaptation théâtrale récente par Olivier Cruveiller. En effet, le fait divers a inspiré un écrivain et essayiste qui connaît très bien le Japon, Eric Faye. Il a publié en 2010 Nagasaki et a reçu cette même année le grand prix du roman de l’Académie Française. Il a inventé Shimura-san, célibataire, météorologue, qui vit dans la banlieue de la ville martyre. Il s’aperçoit que des objets se déplacent, chez lui, que dans son frigidaire, le niveau de certaines bouteilles diminue…Il installe une webcam et va découvrir une silhouette de femme… C’est Eric Faye qui donne au personnage son caractère obsessionnel d’homme qui veut tout maîtriser, tout prévoir, en bon météorologue.

On a du mal à penser que ce livre, traduit en vingt langues, puisse-t-être inconnu des principaux artisans de cette production, l’auteure, Laetitia Colombani, le metteur en scène, habitué du Japon, Ladislas Chollat. On est perturbé par le fait que le caractère imaginé par Eric Faye se retrouve chez Laetitia Colombani. On est gêné par le fait que les artisans et producteurs, au lieu de se faire un bouclier de la formule « inspiré d’une histoire vraie », n’aient pas simplement signalé le grand livre d’Eric Faye. Chez lui, rassurez-vous, pas question de yaourt, puisqu’au Japon on n’en consomme pas quotidiennement…

Autre fait dérangeant pour le spectateur : il y a quelques semaines, à peine, on a applaudi une version superbe et bouleversante, belle, mystérieuse, pleine d’esprit, célébrant l’âme même du Japon, du livre d’Eric Faye. Une version théâtrale écrite, mise en scène, interprétée par Olivier Cruveiller, avec Natalie Akoun et leur fille, et que l’on a découverte au Théâtre de l’Epée de Bois, avant de la retrouver au 100 dans quelques jours. A suivre.

Théâtre Edouard-VII, du mardi au samedi à 20h45, samedi à 16h30, dimanche à 16h00. Tél : 01 47 42 59 92.

www.theatreedouard7.com

Nagasaki, publié en Poche chez J’ai lu en 2011.

Spectacle : en mars et avril, au 100.

Une photographie du spectacle à voir et revoir au « 100 » rue de Charenton. DR.