Adapté par Paul Emond, le roman de Flaubert n’est interprété que par deux artistes, jongleurs spirituels époustouflants qui donnent une alacrité jubilatoire aux récits.
En une heure vingt, sans changer de costumes, s’appuyant parfois sur la musique qu’ils jouent et qu’a composée l’un d’eux, Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps accomplissent un miracle : ils restituent l’un des plus célèbres des romans d’apprentissage de la littérature française, dans sa complexité, sa puissance, ses humeurs et le savant tressage du cours chahuté de l’histoire avec la vie d’un homme aux ambitions calculées.
Dans ce même Théâtre de Poche, il y a déjà huit ans, le même duo avait proposé une version scénique époustouflante de Madame Bovary, avec d’autres interprètes en renfort. Il ne s’agit pas de récits, il ne s’agit pas de simplement raconter, de résumer, mais bien d’extirper la théâtralité des romans magistraux de Gustave Flaubert. Un homme érudit, universitaire, romancier, dramaturge accomplit ces métamorphoses : Paul Emond.
Avec l’épais roman qu’est L’Education sentimentale, avec le poids des événements historiques qui insistent dans la trame narrative, avec la profusion des personnages, Paul Emond réussit sans dessécher la sève, sans affadir l’encre de Flaubert, à tout restituer. On ne peut qu’être admiratif.
Bien sûr, les textes ne sont pas tout. Il faut le talent, la merveilleuse audace des deux metteurs en scène et interprètes, leur humour, leur complicité pour que naisse un irrésistible spectacle. Ils jonglent. Ils se renvoient la balle. Il y a de l’enfance dans cette cascade de « je serais »… David Talbot a veillé sur cette création.
Une superbe robe jaune d’or pour Sandrine Molaro, un costume aux tons plus sourds pour Gilles-Vincent Kapps, des costumes de Sabine Schlemmer réalisés par Julia Brochier, des instruments guitare, claviers, accordéon, et surtout la présence forte et aérienne, profonde et poétique des comédiens-musiciens, tout enchante. Ils ont l’art de dire, de bouger, de changer de registre, de personnage pour elle. Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps sont très séduisants et le spectacle, dans une scénographie élégante d’Esther Granetier, des lumières de François Thouret, est épatant.
Entre la première page, lorsque Frédéric Moreau aperçoit Madame Arnoux sur le pont du bateau qui remonte la Seine, de Paris à Nogent, et la fin du livre, vingt-sept années s’écoulent. Il avait 18 ans, il en a 45. Il est avec son ami Deslauriers.
« Et ils résumèrent leur vie. / Ils l’avaient manquée tous les deux, celui qui avait rêvé l’amour, celui qui avait rêvé le pouvoir. Quelle en était la raison ? ».
Théâtre de Poche-Montparnasse, salle du haut, du mardi au samedi à 19h00, dimanche à 15h00. Durée : 1h20. Tél : 01 45 44 50 21.