C’est dans la carrière ouverte il y a près de quarante ans à quelques kilomètres d’Avignon, que la Comédie-Française crée la pièce de Tiago Rodrigues, directeur du festival, et son metteur en scène. Hécube, pas Hécube est une variation un peu convenue sur les jeux d’emprise du théâtre et de la vie. Magistralement incarnée par sept comédiens ailés.
On les a vus dimanche soir, on les a revus mardi soir, hasard des parcours. Déjà, hier, tout se dessinait avec plus d’acuité, comme s’ils avaient trouvé le juste équilibre avec les spectateurs, serrés sur des gradins bondés. Public qui admire la Comédie-Française ou festivaliers moins familiers de la belle troupe, mais embarqués, discrètement réactifs devant ces grands artistes en fausse récréation.
Variation un peu convenue, oui, que ce jeu de la vie vraie à un rôle particulier. L’argument est simple : alors qu’elle répète le rôle d’Hécube dans la tragédie d’Euripide, une femme se bat devant la justice pour que soient reconnus les auteurs de mauvais traitements, de maltraitance plus exactement, à un tout jeune adolescent autiste, son fils Otis, qu’elle a dû placer dans une institution spécialisée.
Revendication puissante de justice de l’une et de l’autre, désir de vengeance à désir de vengeance, d’amour à amour, de découragement à découragement, la comédienne, Nadia, au miroir de la Reine de Troie, esclave mais debout, livre ses blessures.
Chacun joue plus d’une seule partition, d’un monde à l’autre. Tout commence au pur présent par l’arrivée des comédiens. Une longue table les attend : ils en sont encore aux lectures, certains connaissent leur texte, d’autres non. Au loin on aperçoit des fauteuils. Tout près, sous un voile noir, on devine une haute statue archaïque.
Raconter ? Pas tout raconter comme dirait Otis. La virtuosité des artistes se donne libre cours. Ils s’ébattent dans l’espace vaste et clair. Parfois s’adressent au public. Loïc Corbery, en un parcours trépidant, Denis Podalydès, grave, en s’amusant franchement, parfois, Eric Génovèse avec une retenue palpable, Gaël Kamilindi, avec gravité. C’est le côté des hommes. Les femmes sont de belles figures : Elissa Alloula, que l’on connaît moins, avec précision, sincérité, charme ; Séphora Pondi, avec sa belle voix, son art de l’articulation, les moirures d’un jeu très fin. Et puis il y a, belle et brisée, cette combattante qu’est Nadia, cette humiliée qu’est Hécube. Femmes blessées mais emplies d’un courroux céleste. Elsa Lepoivre, blonde et déliée, exaltée, abattue, féroce, humaine, est magistrale. Une personnalité forte. Par moments, fugitivement, on pense à la jeune Christine Fersen qui joua Médée dans la cour, en 1981, sous la direction de Jean Gillibert. A plusieurs moments, la sophistication voulue du son étouffe sa voix et certains spectateurs ne peuvent entendre l’histoire de la chienne…
Partout, tout le temps, mais ne disons pas tout, la voix d’Otis Redding envahit l’espace. Voix tragique d’un jeune héros mort à 26 ans dans un accident d’avion, il y a près de soixante ans, voix présente à jamais, déchirant le cœur, comme la lumière de Rui Monteiro inscrit une large fracture au milieu de la paroi splendide.
Carrière de Boulbon, jusqu’au 16 juillet à 22h00. Relâches 3 et 10 juillet. Durée : 2h00. Diffusion en direct le 5 juillet, après captation dès le 4. Surtitrage en anglais. Texte publié aux Solitaires Intempestifs. Traduction Thomas Resendes. Les extraits d’Hécube d’Euripide sont traduits par Marie Delcourt-Curvers, éditions Gallimard.