Des interprètes maîtres de leur art, mais une mise en scène trop lourde donnent à «En attendant les barbares » une couleur ambivalente.
C’est un spectacle sur lequel il est très difficile de s’exprimer. Il est remarquablement servi par les interprètes, mais il est compromis par un déploiement de décisions de mise en scène qui obscurcissent le travail des comédiens et fausse le rapport du public à l’intrigue et aux protagonistes.
On se sent un peu incapable d’analyser ce que l’on ressent. Mais une chose est certaine : le duo des metteurs en scène, Camille Bernon et Simon Bourgade, se sont laissé dépasser par leur désir de bien faire et se sont laissé emporter par une tentation démonstrative que nul regard extérieur n’a tempérée.
Les micros sont mal réglés, les lumières, avec cette coquetterie de l’obscurité qui est stérile, l’écran qui sépare, la vidéo qui brouille, tout ici tient à un faisceau de moyens, mais rien qui serve l’essentiel, le face-à-face des artistes embarqués, l’intrigue issue d’un livre très connu de J.M.Coetze, En attendant les barbares. L’écrivain afrikaner l’avait publié en 1980.
A sa parution, on avait pensé, en le lisant, au Désert des Tartares de Dino Buzzati. On est à la frontière. A la lisière du désert, là où vivent les barbares ; ceux que l’on désigne comme les barbares.
Une fable qui possède un potentiel dramatique, pas de doute. Elle a séduit un duo de jeunes comédiens et metteurs en scène, Camille Bernon et Simon Bourgade. Ils disposent d’une réputation flatteuse mais brève : un spectacle a frappé, Change me. Pas tout le monde. Mais…ici, leur travail aurait mérité d’être soumis à un regard extérieur qui les aurait mis en garde contre l’accumulation des moyens de représentation.
Un homme probe, un humain très humain, le magistrat qui administre la ville. Didier Sandre lui donne sa force intérieure, son aristocratie, sa subtilité sensible. Il fait comprendre tous les tourments de cet esprit qui est déchiré par des questions morales mais aussi des pulsions profondes.
Mais voici que surgit le Colonel du Troisième Bureau, mandaté en inspection, car des rumeurs contradictoires circulent dans la grande ville. C’est Stéphane Varupenne, Joll, dans la maîtrise de sa personnalité aussi solaire que susceptible d’être inquiétante.
Le Magistrat offre protection à une barbare qui a été soumise, comme son père, à d’épouvantable tortures. Un jour, il prend le risque de s’engager dans les contrées désertiques et de la raccompagner chez elle. La subtile Suliane Brahim est cette jeune fille. Elle joue aussi d’autres personnages : une soldate, une fille du Troisième Bureau.
A leurs côtés, l’excellent Christophe Montenez, lui aussi, en trois partitions, nous émeut. Comme Elissa Alloula, que l’on ne connaît pas encore très bien, mais qui s’impose avec finesse et Clément Bresson, lui aussi en trois partitions. Il y a également sur le plateau, un jeune qui dessine avec tact Sebald, l’aide de camp du Magistrat. C’est Etienne Galharague. Il n’appartient pas à « l’Académie » du Français, mais il promet.
Répétons-le : c’est excellemment joué. Mais sans doute un traitement plus simple, plus direct, avec cette fable qui fait évidemment penser à certaines pièces d’Edward Bond, aurait mieux convenu à ces comédiens de haut lignage que l’on applaudit sans réserve.
Vieux-Colombier, jusqu’au 3 juillet. Relâche le 2 juillet. Durée : 2h15 sans entracte.
Tél : 01 44 58 15 15.