Il est en tournée avec « Gloucester Time/Matériau Shakespeare », version de « Richard III » selon Matthias Langhoff, qu’il joua en 1995. Ce soir à Bordeaux. Il rayonne depuis Caen, multipliant les initiatives vers les publics et les mises en scène d’inspirations différentes.
Dans un univers qui se prétend voué à l’éphémère, il arrive que des spectacles ressurgissent, non comme les fantômes dont on garderait en tête quelques images, des impressions envoûtantes et floues, des humeurs. Non plus comme des recettes appliquées à des groupes d’acteurs différents, des cadres dans lesquels on rangerait des poignées d’interprètes…Ceci, c’est la méthode du « grand » metteur en scène international : voici la version française après la version américaine qui elle-même venait après la version wallonne.
Non. Des spectacles reviennent. Repris à l’identique, des années après leur création et quelquefois, pour que le trouble augmente, avec les mêmes interprètes. Pour ne citer qu’un ouvrage, prenons La Rose et la Hache. Pour en demeurer à Richard III. Version Carmelo Bene. Georges Lavaudant, Ariel Garcia-Valdès. Ils avaient vingt-cinq ans de plus. Mais La Rose et la Hache était un spectacle de légende car peu l’avaient vu et il était bref, comme une esquisse.
Rien de tel avec la mémorable version de Matthias Langhoff de Richard III. Au festival d’Avignon, en 1995, cela avait été de l’ordre de la déflagration : chacun était littéralement soufflé par cette adaptation, sur une traduction de Jean-Michel Déprats, d’une tragédie effrayante. L’instabilité aussi fascinante qu’effrayante de Richard, était métaphorisée par un décor de bois, brinquebalant sous les poussées du vent furieux de la férocité. « Ores voici l’hiver de notre déplaisir / Changé en glorieux été par ce soleil d’York. »
Ces jours-ci, on entend : « C’est maintenant. Voici l’hiver de nos mécontentements transformé en été glorieux par le soleil familier – York. » Olivier Cadiot, à son tour, propose un texte. Il règne dans le monde du théâtre la certitude qu’il faut, régulièrement retraduire. C’est la conviction de Marcial Di Fonzo Bo et l’on imagine la difficulté, pour lui, comme pour Frédérique Lolliée, la formidable co-metteuse en scène de cette reverdie, et interprète de la Reine Margaret et de quatre autres personnages, secondaires, eux, de se mettre dans la tête et l’articulation ce texte, quand celui de 1995, naturellement, revenait…
C’est un beau geste car c’est une manière de vivifier la présence de Matthias Langhoff. Il n’a pas voulu « reprendre », mais il a été présent, auprès de Marcial Di Fonzo Bo et de Frédérique Lolliée, auprès de la toute nouvelle troupe, engagée et puissante. Le grand Langhoff dit qu’il a « supervisé », mais il avait aussi, pour accepter, la confiance qu’il a en Catherine Rankl, scénographie et costumes, auteure de cette « machine à jouer », une « machine biomécanique à la Meyerhold ».
Le soir où nous avons vu le spectacle, à Béthune, le covid empêchait un comédien, mais le flambeau était relevé par l’assistant à la mise en scène, en deux partitions, brochure à la main. A l’exception de l’interprète du rôle-titre, assez occupé, peut-on dire, chacun ici endosse en effet plusieurs costumes et cette souplesse ajoute au caractère de tréteaux de la représentation, tréteaux diaboliques, avec trappes et poulies, sol instable de la violence à l’œuvre.
Marcial Di Fonzo Bo a donc vingt-cinq ans de plus. En 1995, on ne le connaissait pas encore très bien. On l’avait aperçu dans les pénombres de Claude Régy. En « crapaud du diable », il flamboyait. Ce personnage odieux, porté par des scènes époustouflantes imaginées par William Shakespeare, forçait l’empathie…Mais surtout, chacun « découvrait » un très grand caractère, un comédien jeune et hallucinant de présence, de force, de subtilité.
Il n’a pas tant changé. La silhouette est proche de celle du tout jeune homme. On s’étoffe toujours un peu. Mais ici, personne n’a perdu le goût du risque et Frédérique Lolliée est magistrale. Le grincement des machines torturantes –ce décor qui menace et laisse espérer, comme le pont d’un navire, un départ en haute mer- inquiète, mais laisse la place au rire. Et pas seulement aux éclats sardoniques de la cruauté. On rit aussi de bon cœur, ici.
C’est Brecht qui le disait : Shakespeare « un matériau absolu ». Le spectacle est rythmé, assez sauvage. Il secoue. Rien d’une tentation de bande-dessinée, ici. Ne vous y trompez pas ! On va au cœur du sens et chacun est à louer qui sait être sur le fil tranchant de son personnage.
Dans cette résurrection d’un « spectacle » que l’on retrouve –sans avoir en mémoire l’ensemble : on se souvenait d’abord du jeune interprète et du plateau se disloquant- dans cette apparition, réside le rapport de Marcial Di Fonzo Bo à l’histoire du théâtre. Il est actif, il édifie, il innove. Mais il n’a jamais brisé les liens avec l’histoire même du théâtre. Personnellement, il est un être de mémoire. Il connaît ceux qui l’ont précédé. S’il est venu d’Argentine, comme son oncle et sa tante, les regrettés Marucha Bo et Facundo Bo, étoiles du groupe TSE d’Alfredo Arias, il s’est passionné pour l’histoire du théâtre européen, français en particulier.
Il agit. Sans aller jusqu’à Caen, lieu vivant, public nombreux et éveillé, on peut suivre son travail conduit avec Elise Vigier. A Paris, au Monfort, il a ses haltes. Metteur en scène, il aime ses contemporains, ses aînés : Copi, Noren, Zelenka, Minyana, Spregelburd. Il lance des ponts du public au privé. Il exploite longuement les productions du centre dramatique. Il façonne des spectacles que l’on déguste avec émerveillement, mais qui peuvent séduire jusqu’aux plus petits, ainsi les très sophistiqués et magiques Georges Méliès ou le formidable Buster Keaton.
Actuellement, du 01/02/2022 au 05/02/2022 TNBA, Bordeaux
Dates suivantes de la tournée :
- du 25/02/2022 au 26/02/2022
Le Volcan, Havre du 08/03/2022 au 09/03/2022
Le Tangram, Evreux - du 27/04/2022 au 30/04/2022
Comédie de Genève - du 04/05/2022 au 06/05/2022
Comédie de Reims - du 12/05/2022 au 15/05/2022
La Villette, Paris