Michel Aumont, roi modeste

Le grand comédien, Sociétaire honoraire de la Comédie-Française, s’est éteint hier. Il avait 82 ans. Au théâtre, comme au cinéma ou à la télévision, il aura suivi un chemin brillant, toujours étonné que le public le connaisse et l’aime.

Le hasard a voulu que les téléspectateurs le revoient cet été dans Les Dames de la Côte, filde Nina Companeez rediffusé quarante ans après son tournage. Un homme jeune, alors Michel Aumont, un magnifique interprète qui avait obtenu un bref congé de sa maison d’alors, la Comédie-Française.

On ne saurait, au moment de saluer son parcours immense et brillant, circonscrire sa vie, ses rôles, tant il sut donner épaisseur à des personnages différents, dans des registres très contrastés. En vérité, c’était un immense interprète qui avait la passion de son métier de vivre, de son art.

Révéré par tous les amateurs de théâtre, Michel Aumont était connu et apprécié du grand public par ses compositions dans un grand nombre de films français depuis les années 70 . Le septième art l’avait un peu enfermé dans des seconds rôles mais il s’en délectait. Des flics, des commissaires, des juristes, des cadres, notamment. Des hommes honnêtes et d’autres moins…

Son parcours reflète le choix de très grands réalisateurs qui connaissaient la sensibilité, la présence d’un interprète toujours étonnant. De Michel Deville à Nicole Garcia, de Claude Chabrol à Anne Le Ny en passant par Claude Sautet, Yves Robert, BertrandTavernier, Edouard Molinaro, tant d’autres. Il aura tourné plusieurs dizaines de films pour le cinéma, et beaucoup pour la bonne télévision.

Il pouvait tout jouer et au théâtre il fut aussi bien les valets sautillants que les rois nobles et tragiques ou très inquiétants.

On ne l’avait plus revu depuis quelques années sur les planches : il fut un merveilleux Claude Monet dans La Colère du Tigre de Philippe Madral, en 2014, au Théâtre Montparnasse, face à Claude Brasseur qui incarnait Georges Clémenceau, dans une mise en scène de Christophe Lidon et un très humain et bouleversant Roi Lear dans une mise en scène par Jean-Luc Revol de la pièce de William Shakespeare, au Théâtre de la Madeleine, en 2015.

Il avait depuis tourné dans quelques films, Des nouvelles de la planète Mars de Dominique Moll, Vive la crise de Jean-François Davy, Moi et le Che de Patrice Gautier, sorti en 2018.

Au moment de saluer un si grand artiste, de se remémorer une si longue carrière, on revoit cet homme timide à l’extrême, modeste, un esprit que rien ne pouvait vraiment rassurer. On retrouve sa sensibilité vive, son esprit, son humour. On ressent à nouveau ses fulgurances, sa présence aérienne et dense. On entend sa voix si particulière, son élocution impeccable, aussi précise que tendre, son timbre affirmé et friable à la fois.

Michel Aumont était un enfant de la balle, un enfant de troupe, un enfant de la Troupe ! En effet, son père était directeur de scène de la Comédie-Française et sa mère, Hélène Gerber, était une comédienne connue qui avait joué dans le premier Cid d’Avignon. Michel Aumont, né le 15 octobre 1936, avait vu Charles Dullin jouer L’Avare, à cinq ans, à peine et croisé dans la Cité des Papes Jean Vilar, Jean-Pierre Jorris qui se faisait appeler Jorris Meaulne, Gérard Philipe.

Il choisit le théâtre et, après la rue Blanche, il suit les classes de Denis d’Inès et de Jean Debucourt au Conservatoire. Il en sort en 1956 avec un premier prix de comédie moderne, un premier accessit de comédie classique et il est engagé au Français…

Or, on est en pleine guerre d’Algérie. Appelé en 1957, à une époque où l’on fait vingt-sept mois de service militaire, il restera très marqué par cette période, mais il demeurait toujours discret, pudique. Il y avait en lui une noblesse d’âme.

Il avait été à l’affiche, dès 1952, de La Puissance et la Gloire de Graham Green, mis en scène par André Clavé à l’œuvre. Au Français, encore élève, en 1955, il avait été distribué dans Est-il bon ? Est-il méchant ? de Denis Diderot mis en scène par Henri Rollan puis dans Les Fourberies de Scapin, en 56.

Mais on ne le verrait plus sur la scène de Richelieu avant 1960 et la création du Cardinald’Espagne d’Henry de Montherlant. Il participera à bien d’autres « entrées au répertoire » d’ailleurs : Donogoo de Jules Romains en 1964, La Soif et la Faim d’Eugène Ionesco, dans une mise en scène de Jean-Marie Serreau en 1967 et, la même année, L’Emigré de Brisbane de Georges Schéhadé. Il crée également Amorphe d’Ottenburg de Jean-Claude Grumberg en 1971.

Michel Aumont excellait dans les grands rôles classiques : il fut un Harpagon impressionnant dans L’Avare de Molière mis en scène par Jean-Paul Roussillon, joué en 69, 70, 71 et repris en 89. Richard III de Shakespeare sous la direction de Terry Hands lui permit de donner les moirures d’un jeu très étendu. On le vit dans En attendant Godot de Beckett sous la direction de Roger Blin. Il s’entendait très bien avec les metteurs en scène de grand caractère et il avait beaucoup aimé travailler avec Antoine Bourseiller dans Dom Juan de Molière comme avec Jean-Pierre Vincent avec qui il joua Le Suicidé d’Erdman, Le Misanthrope de Molière, Les Corbeaux d’Henry Becque.

En 1994, il avait quitté le Français, après avoir joué sous la direction de son ami Jean-Paul Roussillon, Le Faiseur de Balzac. Il avait alors été nommé Sociétaire honoraire.

La tentation est grande de faire une énumération tant sa manière de donner vie à despersonnages très différents était fascinante.C’est un comédien qui partageait. Qui était très attentif à ses partenaires. Il donnait de l’épaisseur et du mystère à la moindre des silhouettes et, lorsqu’il servait les grands poètes dramatiques ou des grands réalisateurs, il était d’une évidence bouleversante. Sans jamais aller vers les effets. On n’oublie pas toutes les aventures partagées avec Jorge Lavelli, à la Comédie-Française comme à la Colline, notamment. On n’oublie pas Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco (1976), La Tour de Babel de Fernando Arrabal (1979), Les Comédies barbares de Valle-Inclan en 91 au Festival d’Avignon, Macbett de Ionesco qui lui valut le Molière du meilleur comédien en 93, Les Journalistes de Schnitzler, L’Amour en Crimée de Mrozek, l’époustouflant Décadence de Steven Berkoff et encore Arloc de Serge Kribus.

Ensuite, le pudique Michel Aumont osa Adam et Eve de Jean-Claude Grumberg sous la direction de Gildas Bourdet avant de jouer dans la diversité, beaucoup, et de retrouver Lavelli pour Le Désarroi de Monsieur Peter, une pièce étonnante d’Arthur Miller.

Il joua, encore et encore, obtint d’autres récompenses, la reconnaissance du métier et du public qui l’aimait profondément. Ribes, Bluwal, Lassalle, Werler, il a été essentiel dans les mises en scène très fortes ou des pièces très intéressantes, telle Collaboration de Ronald Harwood, avec Didier Sandre et Christiane Cohendy, en 2012.

On dit si peu. On n’oublie rien. Un très grand et, répétons-le, mystérieux et modeste. Rieur, en rien pompeux. Gamin parfois. Jamais sûr de lui. Un peu taiseux. Mais éloquent jusque dans le silence.

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