Niels Arestrup, la lumière et la nuit

Il s’est éteint dimanche matin, vaincu par le cancer. Sa femme, écrivain, a annoncé sa mort. Les hommages sont nombreux. Il était un très grand artiste, complexe, compliqué. Un être insaisissable, vulnérable, hyper-sensible, généreux. Un immense interprète.

Ici, là, les fils de sa vie sont tendus dans des articles fervents. Le Figaro a titré son cahier culture « Niels Arestrup, l’intranquille ». Tout est dit. Jamais en paix. Ni avec lui-même, ni avec sa vie, ni avec les autres, ni avec le savoir pour lequel il était insatiable. Il aimait ses proches. Une femme brillante et fine, une écrivain, dramaturge ayant foulé les planches et connaissant bien les pouvoirs du théâtre. Des enfants, des jumeaux. Il n’avait jamais renié ses origines. Père danois, mère française -bretonne pour être précise. Les hasards ont présidé à sa naissance. Les hasards, il a su les saisir : un soir de 1968, il voit Tania Balachova à la télévision. Il est empli d’une force, lui qui demeurera si timide jusqu’aux plus grands rayonnements de son chemin, une force qui le mène jusqu’au cours. Il a dix-neuf ans (il est né le 8 février 1949). Tania Balachova est alors le grand professeur d’une génération qui précède Niels Arestrup. Elle même est d’une autre génération. Ils ont traversé la guerre, quand il n’est qu’un « baby boomer ». Sauf que l’on ne désigne qu’aujourd’hui ainsi les enfants nés après la guerre.

Dans cet acte fondateur, il y a quelque chose de très profond qui traduit la personnalité de Niels Arestrup : il a du courage. Du courage, c’est à dire du coeur. A coeur vaillant, rien d’impossible.

Il va vers le meilleur : dans ces années là, Andreas Voutsinas, a ouvert un atelier où vont les comédiens déjà reconnus, de Jean-Pierre Jorris à Henri Virlogeux, de Sylvie Joly à Véronique Silver. Ce sont des vieux, des quadras. Et puis les jeunes, les débutants. De Didier Flamand à Jean Reno.

Niels Arestrup ne se trompe pas. Il sait où s’affermir, où grandir, mais il a bien en tête ce que Tania Balachova a tout de suite compris en lui. Il est grand en lui-même, par lui-même. Il n’aurait pas besoin de cours.

Sauf que lui, il sait bien tout ce qui lui manque et il ne déteste pas ce mélange des générations, ni la fantaisie à fort accent et casquette et petit chien, d’Andreas Voutsinas.

Depuis, il n’a jamais dévié. Sa vie fut que je est un autre. Il y a partout des hommages, des rappels, des retours sur son chemin, au théâtre comme au cinéma. On l’avait connu châtain aux yeux bleus, on l’a longtemps retrouvé blond.

Il a été tant de fois exceptionnel qu’il serait impudent de citer tel rôle plutôt que tel autre. Pourtant s’il fallait vous désigner un moment de sa vie, plutôt que tel autre, on vous enjoindrait de visionner un film. Un film intitulé Le Goûter chez Niels. Un film court, 26 minutes. Un film assez ancien, 1986. Ecrit et réalisé par Didier Martiny qui dirige Yasmina Reza, Michèle Moretti, Patrice Kerbrat, Roland Blanche, Jacques Nerson, Bernard Alane, Niels Arestrup, a composé un objet étrange. Les personnages sont des enfants et tous les garçons sont en culottes courtes. Niels de la Brêche invite ses amis, pour ses onze ans. Mais une bande mal intentionnée rôde dans le parc de la propriété des parents…Ce n’est pas La Guerre des Boutons. C’est rude et cocasse. Une folie.

Il était la lumière et la nuit. Sa voix trahissait sa douceur et ses peurs. Il était volubile lorsqu’il se sentait en confiance. Il avait beaucoup d’idées de rôles car il lisait sans arrêt et savait qu’un Winston Churchill ou un Mark Rothko prendrait encore plus de lumière, avec lui, par lui, sur un plateau. Ce qui advint. Et l’on toucha alors, d’encore plus près, plus près qu’avec Anton Tchekhov ou Jacques Audiard, sa part de spiritualité et ses vertiges nocturnes.

PS : Il y a longtemps, un livre plus ou moins autobiographique avait été publié chez Plon : « Tous mes incendies » (2001).