Comment un texte aussi médiocre que « Théorème/Je me sens un cœur à aimer toute la terre » d’Amine Adjina, peut-il être mise en scène au Vieux-Colombier et interprété par la plus illustre troupe de France ?
Nous avons été frappé, à la lecture de cette pièce publiée récemment par Actes Sud-Papiers, par sa faiblesse d’écriture, sa lourdeur de construction, sa longueur inutile. Mais on espère toujours qu’une mise en scène et une interprétation fortes, effacent tous les défauts et transfigurent les textes.
Hélas, la médiocrité et le ridicule se disputent le plateau, n’était, et soulignons-le, la présence miraculeuse de Marie Oppert, excellentissime en jeune fille qui rêve de jouer l’Elvire de Dom Juan, corps et âme tourmentés par le désir de devenir femme et artiste en herbe ultra-douée, chanteuse éblouissante. Ce qu’est Marie Oppert, voix superbe, sublime dans ses interprétations : on a hâte de la découvrir dans L’Opéra de Quat’sous en ouverture du prochain festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence. Une forte décision de Pierre Audi, une mise en scène de Thomas Ostermeier.
Mais que fait-elle dans cette galère ? On aurait pu préserver cette jeune artiste unique ! La garder pour le meilleur.
Parfois, lorsque l’on assiste à de très mauvais spectacles, au théâtre, souvent dans le registre des comédies bâclées, on voudrait être caché sous le fauteuil, tellement on a honte pour les pauvres comédiens embarqués. Ils doivent travailler. On ne leur en veut jamais d’accepter des pièces faiblardes.
Mais ici, porté par l’institution théâtrale la plus riche de France, et un éditorial très laudateur d’Eric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française –sans parler de l’édition par Actes Sud-Papiers- voici donc Théorème/Je me sens un cœur à aimer toute la terre, d’Amine Adjina que l’auteur met en scène avec Emilie Prévosteau.
On ne prendra ici nulle précaution d’expression : décor prétentieux et moche, robes des femmes ridicules, lumières destinées à cacher les physiques, mouvements sans intelligence –avec tout le monde qui sort de l’étage inférieur, comme si on était dans un yacht- mais surtout : texte indigent, d’une maladresse explicative désolante, dialogues qui sonnent faux, passages d’une scène à l’autre artificiels, que dire de plus ? On est triste pour les interprètes embarqués.
Car ici, excusez du peu, on est du côté de Pier Paolo Pasolini, et d’une inspiration « libre » venue du film Théorème et du personnage d’Elvire dans Dom Juan de Molière. Quelle misère !
Et l’auteur qui n’est pas à ça près, et les éditions Actes-Sud Papiers qui l’écrivent en 4ème de couverture, soulignent que la pièce « s’empare des enjeux politiques et écologiques qui planent dangereusement au-dessus de nos existences. »
Le jeune homme qui amène la folie érotique de la famille, est joué par Birane Ba. Bien trop charmeur en surface, léger, heureux avec ses dents de la chance (ou du bonheur), pas du tout taillé pour le féroce et pervers visiteur. Surtout lorsque, comme ici, il n’est en rien dirigé. Au cinéma, déjà jeune vedette, il est toujours convaincant et on l’attend aussi, cet été, en Mackie voyou et charmeur. Mais il y aura un metteur en scène, un texte, une écriture !!!!
Evidemment Danièle Lebrun est parfaite dans son parcours de grand-mère, malgré les pantalons transparents et la faiblesse des répliques. Claïna Clavaron, Nour, figure ambivalente du désordre, elle aussi, défend son personnage. Comme le fait Coraly Zahonero, mais la mère est écrite comme une personnalité simplement égocentrique, ici. Le fils, dans cette version, est un nigaud. Adrien Simion fera des progrès, on l’espère. Quant au grand Alexandre Pavloff, il est dirigé d’une manière outrée qui ajoute au ridicule des phrases projetées au-dessus des scènes avec « le garçon ». On est blessé de le voir ainsi conduit jusqu’au grotesque.
Bref, un désastre qui jette dans le désarroi, un désastre inadmissible.
Vieux-Colombier jusqu’au 11 mai. Texte Actes Sud-Papiers ; 15€.