Au Théâtre de Nesle, Mouss Zouhery incarne le très volubile chef d’un orchestre imaginaire. Sous le regard amical de Jacques Séchaud, « El Maestro » amuse et émeut, en un texte qui se joue d’un français savoureux et de bouffées d’arabe et de kabyle.
Depuis l’orée des années 90, date de l’exil en France de cet artiste sensible et courageux, Aziz Chouaki avait imposé sa personnalité profonde et son talent au large spectre. Il s’est éteint brutalement le 16 avril 2019, des suites d’un AVC. Il avait 67 ans.
Né en Kabylie, grandi à Alger auprès d’une mère, institutrice francophone, il étudie la littérature anglaise à l’Université d’Alger, devient spécialiste de James Joyce. Musicien, il se produit dans de nombreux lieux de la ville et, s’il travaille avec des groupes rock, il est un guitariste héritier des traditions mêlées, orient et occident.
Intellectuel engagé, chroniqueur très suivi, il échappe à l’assassinat en s’exilant en France. Jean-Pierre Vincent, lisant son monologue Baya, comprend sa puissance dramaturgique. Aziz Chouaki entre dès lors dans le cercle des écrivains de théâtre de langue française. Il est aussi romancier, auteur de nouvelles, poète. Mais le théâtre devient son royaume et avec Les Oranges il atteint[HA1] un large cercle qui s’agrandit encore avec Une virée en 2004, Les Coloniaux, en 2007. Jean-Louis Martinelli monte ces textes marquants.
Près de cinq ans après sa mort, on ne l’oublie pas, mais on rêve de voir ses pièces reprises. Dans la belle salle du Théâtre de Nesle, Mouss Zouheyri ravive la mémoire de son ami, en incarnant, avec sa mobilité d’Arlequin et sa gravité d’homme engagé, le chef d’un orchestre imaginaire dans El Maestro.
Mouss Zouheyri est venu du Maroc avec sa famille. Il est plus jeune de quelques années que Chouaki. Mais ils étaient très proches, très amis, frères. Partageant le même amour de la langue française, sans jamais renier leurs cultures maghrébines. Passé par le conservatoire national supérieur d’art dramatique, élève de Michel Bouquet, Mouss Zouheyri est un comédien très doué. Il a conservé, dans son âge mûr (il est né en 1959 à Casablanca), une alacrité merveilleuse. Il est vif et volubile, il court, il saute, il se juche ici et là. Sous le regard de Jacques Séchaud, il passe d’un sentiment à l’autre avec une virtuosité fertile. Dans de belles lumières de Vincent Papot-Libéral, le travail musical très précis de Jean-Luc Girard, son visage si expressif, ses yeux d’enfant étonné, de rêveur impénitent, font merveille. C’est souvent drôle, toujours émouvant. Une très belle célébration, fraternelle et cocasse, mais profonde. On se promène à Alger. On pense à Aziz Chouaki et l’on applaudit très fort le cher Mouss Zouheyri, espiègle parfois, et bouleversant. Deux maîtres simples et merveilleux.
Théâtre de Nesle, du jeudi au samedi à 21h00, jusqu’au 2 mars. Durée : 1h10. Tél : 01 46 34 61 04.