Le grand écrivain s’est éteint hier, 1er mai. Il avait eu 95 ans le 13 janvier dernier. On ne veut pas parler de lui au passé. Nous renvoyons à tout ce qui fut écrit sur lui et ses oeuvres, ses travaux et ses jours et republions deux articles parus dans Le Figaro il y a quelques années.
Publié le 17 avril 2006 : l’oeuvre ouverte
Il est fin comme une lame, frêle comme une branche d’arbrisseau. Il a un sourire de chat. Le temps a émacié cet homme au physique de marathonien. Tout en nerfs et en muscles, Michel Vinaver. Sans rien de raide. Il y a en lui une souple légèreté que traduit son écriture ferme, aiguë, vive, une densité qui pourrait intimider, n’était-ce sa profonde ouverture aux autres, sa manière d’accueillir, d’être à l’écoute.
Son oeuvre littéraire est l’une des plus intéressantes de l’après-guerre. S’il est moins connu du grand public que nombre de hâtifs plumitifs, c’est qu’il s’est presque exclusivement consacré au théâtre, genre dont se désintéressent les plateaux de télévision. Né en 1927, il est arrivé à l’âge d’écrire après la grande rupture du tournant du XXe siècle que l’on pourrait circonscrire aux noms de Beckett et de Ionesco. Il est apparemment classique dans son écriture, ce qui ne lui a jamais interdit d’expérimenter des formes osées et d’avoir du style. De saper les bases ordinaires de la représentation. C’est un corrosif sans agressivité.
Le temps a passé sans émousser son goût du travail, de la remise en question perpétuelle de ses certitudes. Il continue d’écrire et si son théâtre complet vient de paraître en huit volumes, chez deux éditeurs accordés, Actes Sud et L’Arche, l’oeuvre demeure clairement ouverte.
Il est sans doute l’écrivain français qui sera le plus à l’honneur dans les mois et les années qui viennent. Les gens de théâtre connaissent très bien Michel Vinaver et son monde singulier. C’est un homme passionnant. Ses pièces sont ancrées dans la réalité, mais son écriture les arrache à tout réalisme brut. Ses textes lui ressemblent. Ils échappent.
En ce printemps 2006, les pièces de Michel Vinaver sont nombreuses à être à l’affiche et, pour l’une d’elles, A la renverse, c’est même lui qui signe la mise en scène, en attendant d’autres expériences. Une très bonne occasion de rencontrer cet être affable et malicieux qui ne craint pas de livrer quelques-unes de ses pensées. Dans le merveilleux petit livret qui accompagne la publication de son théâtre il dit notamment : «Comme le tireur à l’arc dans le zen, je ne vise rien, je m’applique à bien tirer.»
Avignon, juillet 2015 : Anouk Grinberg, lectrice de Bettencourt Boulevard
Dans le cadre du cycle de France Culture au musée Calvet, la comédienne a lu magistralement la pièce de son père, Michel Vinaver, Bettencourt Boulevard ou une histoire française.
Les politiques vont et viennent dans Avignon sans susciter la passion des foules. Mais la politique est au cœur du festival, avec des rencontres, des débats. C’est encore mieux quand le théâtre s’empare de sujets d’actualité.
Michel Vinaver, 88 ans, s’est toujours intéressé à la société, au monde. Lui qui fut l’un des grands dirigeants de Gillette France, a puisé ses arguments dans la guerre avec Les Coréens, dans les faits divers avec L’Ordinaire, dans l’entreprise avec Par-dessus bord, dans la réalité avec 11 septembre 2001.
Il y a un peu moins d’un an, L’Arche a publié sa nouvelle pièce, Bettencourt Boulevard ou une affaire française. Elle sera créée en novembre prochain, au Théâtre national Populaire de Villeurbanne, dans une mise en scène de Christian Schiaretti.
Cette pièce, Blandine Masson, directrice de la fiction à France Culture, l’a programmé en ouverture de l’excellent cycle de lectures et de mises en espace en public, donné dans la cour du Musée Calvet d’Avignon. C’est Michel Vinaver qui devait lire lui-même sa pièce. Mais il a été renversé dans le métro, à Paris, et a dû être hospitalisé avec une méchante fracture. C’est sa fille, la merveilleuse Anouk Grinberg, qui l’a remplacé. Elle a eu trois jours pour travailler et le résultat, vendredi soir, était remarquable.
Blandine Masson et Anouk Grinberg ont enregistré à l’aide d’un simple téléphone les propos de l’écrivain, lundi dernier et les diffusent liminairement. De sa voix ferme, Michel Vinaver explique son projet, analyse son propos. Pour lui, par-delà «l’affaire», c’est bien notre histoire qui affleure. Et la pièce en témoigne. Gilet sans manches et pantalon noirs, fine comme une brindille, Anouk Grinberg commence par la liste des personnages par ordre d’entrée en scène: chroniqueur, Eugène Schueller, Rabbin Robert Meyers, Liliane Bettencourt, François-Marie Banier, Patrice de Maistre, Françoise Bettencourt Meyers, Lindsay Owen-Jones, Dominique Gaspard, etc…Ils sont dix-sept personnages.
C’est que la pièce est bâtie sur un travail documentaire d’une précision profonde et l’on verra aussi apparaître en une scène hallucinante trois jeunes gens en visite en Allemagne en 1939, quelques semaines avant le déclenchement de la guerre: André Bettencourt, François Dalle, qui fut le grand PDG de l’Oréal, François Mitterrand. Une évocation qui éclaire leurs relations futures, leurs mentalités et l’Histoire!
Michel Vinaver a construit la pièce en trente scènes qu’il nomme «éclats». Des précipités dramatiques très savoureux dans lesquels, de sa plume aigue, il cerne les personnages et les faits.