D’après un texte de Stéphane Legrand, sur une composition de Sylvain Cartigny qui a conçu ce moment mis en scène par Mathieu Bauer, Femme Capital est une évocation sophistiquée et féroce d’Ayn Rand, portée par l’irrésistible Emma Liégeois et l’Orchestre de spectacle du Nouveau théâtre de Montreuil.
Ayn Rand est très connue aux Etats-Unis, beaucoup moins en France et en Europe, sauf dans les milieux de l’économie et de la politique. La pensée radicale de cet esprit brillant et rugueux (1905 à Saint-Pétersbourg-1982 à New York) qui a influencé et continue d’influencer certaines personnalités du monde de la politique, de l’économie, du pouvoir en général, est assez glaçant. Ultra-libéralisme, individualisme forcené jusqu’à un égoïsme stérile, elle avait composé des essais, des romans, des pièces de théâtre.
Cela fera sourire les esprits forts, mais la première fois que Ayn Rand a été montée au théâtre en France, c’était un spectacle interactif de Robert Hossein,…Ivo van Hove, quant à lui, a mis en scène d’une manière puissante une adaptation de Foutainhead (La Source vive en français), histoire mettant en scène deux architectes aux pensées opposées. Ivo van Hove avait été subjugué par le texte, passant outre ce que l’auteure pouvait avoir de scandaleusement réactionnaire.
Aujourd’hui, à Montreuil, c’est un spectacle très intelligent, tonique, enthousiasmant que nous proposent Sylvain Cartigny, qui l’a conçu et qui a composé la partition, et Mathieu Bauer, qui a imaginé la scénographie, la mise en scène et dirige cette merveille d’interprète qu’est Emma Liégeois qui jouait notamment dans Shock Corridor, à Montreuil, autre très bon spectacle de Mathieu Bauer. Elève du TNS, elle était aussi dans le fascinant Radeau de la Méduse imaginé par Thomas Jolly, dans le Baal de Christine Letailleur en 2017. Elle est aussi, en ce moment même dans Une femme se déplace de David Lescot. Le plateau du grand théâtre est entièrement occupé : les musiciens, une quinzaine, sont répartis souplement au long des trois côtés, avec des instruments très différents, filles et garçons, amateurs ou jeunes professionnels, doués, embarqués de toutes leurs fibres.
Au beau milieu, vers l’avant du plateau, une cage de verre, une cabine technique dans laquelle se tient Ayn Rand. Pantalon ceinturé et chemisier, chignon dégageant son visage très expressif, clair regard (pas les méchants yeux très noirs de Rand !), Emma Liégeois subjugue. Elle est d’une liberté, d’un humour, d’une plasticité, d’une beauté (là encore, le modèle n’était pas si idéal), qui fascinent. Et Mathieu Bauer la dirige à merveille.
Formée comme chanteuse lyrique, elle est rare. Sa voix parlée est superbe et lorsqu’elle interprète de très belles pages, qu’on vous laisse découvrir, concentrée tandis que son partenaire parle, elle est franchement magistrale…
Sur le bas de la cabine, des textes s’affichent parfois et elle-même écrit sur les vitres. Puis finit par sortir, chassée par le feu –Ayn Rand fumait énormément.
Parfois, un partenaire intervient. Clément Barthelet. Et la musique, tonique, reprend en interventions très bien pensées. On ne perd rien du texte, que l’on entend par le truchement de casques.
Le son est parfaitement équilibré par Alexis Pawlak, les lumières pensées par William Lambert, tout est convaincant et offre au spectateur un moment jubilatoire, aussi instructif que divertissant. Cela nous éveille au monde.
Mathieu Bauer quitte à la fin de l’année la direction du Nouveau théâtre de Montreuil. On le suit depuis les débuts de Sentimental Bourreau. On le retrouvera bientôt.
Jusqu’à ce vendredi 10 décembre. A 20h00. Durée : 1h00. Tél : 01 48 70 48 90.
Site : nouveau-theatre-montreuil.com
D’après Femme Capital deStéphane Legrand, édité aux éditions NovaL’Orchestre
de spectacle du Nouveau théâtre de Montreuil : Blaise Cardon-Mienville, Joseph
Cartigny, Orane Culeux, Lili Gomond, Tommy Haullard, Zacharie Hitter, Nils
Kassap-Dhelin, Lilli Lacombe, Marc Lebeau, Steve Matingu Nsukami, Fania
Morange, Lolita Morange, Jonas Thierry, Bob Voisembert, Nicolas Vouktchevitch