C’est la première fois que Jean Bellorini met en scène Molière. A l’invitation du Teatro di Napoli, il dirige un groupe de comédiens virtuoses et savoureux.
Chez Orgon, le Christ fait partie de la famille. Il est là, il prend de la place. Il est très voyant, dans son manteau orange. Un comédien, sur une croix énorme qui tout à l’heure descendra. On ne trouve pas son nom dans la distribution.
L’action, ici, est située dans la vaste cuisine au centre de laquelle est installée une grande table. Jean Bellorini signe la mise en scène, mais aussi la scénographie et les lumières, les costumes étant de Macha Makeïeff.
Celui qui est aujourd’hui directeur du TNP, a répondu à l’invitation de l’ancien directeur du Teatro Stabile de Napoli, Luca de Fusco. La mise en œuvre de ce Tartuffe en italien a été retardée par les confinements et l’arrêt des créations. La traduction est signée Carlo Repetti, un dramaturge et metteur en scène inspiré, mort en 2020. Il travaillait au théâtre de Gênes. Sa traduction est souvent rimée, comme l’original qui est en alexandrins.
Tout, ici, se donne des allures de comédie à l’italienne. Une vivacité dans le ton, dans le rythme, portée par la merveilleuse distribution. On a déjà applaudi certains de ces interprètes, notamment sous la direction de Toni Servillo. Tout s’est noué autour de la puissante personnalité de Federico Vanni, formidable Tartufo en soutane classique à la Don Camillo. C’est lui que le metteur en scène a rencontré d’abord. Puis il a fait des auditions. Face à lui, haute silhouette aristocratique, Gigio Alberti est un Orgon aveuglé, mais digne même s’il a du mal à croire à la duplicité libidineuse de son cher Tartufo. Cléante, l’oncle, est un être à part, comme d’un autre monde, un autre âge. Il voit tout, en fait. Même si ce n’est pas tout à fait cela que nous montre Jean Bellorini. C’est le très fin Ruggero Dondi, dans un vêtement un peu ancien, différent de ceux des autres protagonistes, années 60-70. La mère d’Orgon, Madame Pernelle, dans sa chaise roulante –comme chez Bondy- ne manquera pas de se lever pour arpenter le plateau d’un pas décidé. Elle aura du mal à admettre la vilénie de l’hypocrite. Betti Pedrazzi est enthousiasmante !
On aime les comédiens. Mais pourquoi encore plus les comédiens italiens ? Parce qu’ils sont sans narcissisme ? Parce qu’ils sont immédiatement au plus près de l’humain ? Que ce soit dans les partitions brèves, Daria D’Antonio, Flipote et l’Exempt, Luca Iervolino, Monsieur Loyal, ou les chemins plus importants : Elmire, la belle et délicieusement séduisante Teresa Saponangelo, la si intelligente Dorine –un des très magnifiques personnages de Molière- d’Angela De Matteo, les touchants enfants d’Orgon, Damis, Giampiero Schiano, Mariane, Francesca De Nicolais, et, seul artiste français de la production, enfant de la troupe de Jean Bellorini, Jules Garreau. Celui qui est un peu extérieur, puisqu’il est l’amoureux de Mariane.
C’est très bien dessiné, on ne perd rien des rouages de la comédie. Les musiques sont des chansons de variété italienne, qui donnent du pep et du nerf et éloignent la tragédie malgré les intentions mauvaises de Tartufo, qui ne se contente pas de tenter de séduire l’épouse, d’épouser la fille, de spolier son bienfaiteur, mais le fait condamner.
Heureusement, les miracles pleuvent. Le Christ à qui l’on s’adresse, comme Don Camillo justement, est miraculeux, mais l’intervention du Roi aussi ! Tout finit donc bien. Presque.
Théâtre de Nanterre-Amandiers, mardi et mercredi à 19h30, jeudi et vendredi à 20h30. Dernière ce 27 mai. En langue italienne avec surtitres (de Molière !). Durée : 2h00. Tél : 01 46 14 70 00.