En écrivant « Un juge » d’après des investigations documentaires, Fabio Alessandrini, qui incarne le rôle-titre, nous rabat dans ces années de plomb, très particulières, rendant hommage à des personnalités de la réalité, les juges Giovanni Falcone ou Paolo Borselino, notamment.
On n’oublie pas les spectacles de Fabio Alessandrini, son engagement moral et politique, ses curiosités, son talent d’écriture et d’interprétation. Ainsi Monsieur Kaïros, avec deux grands artistes, se succédant, Yann Collette, Carlo Brandt.
On ne refera pas ici tout son chemin, plongeons plutôt dans cette proposition pour un homme seul, lui-même, mais très bien entouré. Sa compagnie est une compagnie de qualité et son équipe artistique excellente. Musique, Paolo Silvestri, son, Romain Mater, vidéo, Claudio Cavallari, lumière, Jérôme Bertin, décor, Alexandrine Rollin sans oublier la co-dramaturgie de Riccardo Maranzana, et le « regard extérieur » de Karelle Prugnaud. On cite tout le monde parce que ce qui frappe est le soin sans lourdeur, la précision de la représentation.
Un seul en scène, n’est jamais un homme ou une femme seuls, sur un plateau. En même temps, la première responsabilité, est celui du solitaire, en scène. Ce spectacle a été créé et vu il y a quelques mois. Mais ici, il s’agit bien d’une reprise et d’un tremplin pour Avignon off où il sera.
Dans la petite salle du haut du Théâtre de la Reine Blanche, un plateau à fleur des spectateurs, avec, au fond, un bureau. Un bureau de juge. Un homme, en costume et cravate, mallette de cuir rouge à la main, pénètre.
Avec son crâne chauve, son visage architecturé clairement, son regard insistant, la tension que traduit tout son être, le personnage est presqu’inquiétant. Il interpelle d’entrée le public. Fabio Alessandrini joue de cette ambivalence. Il aime faire peur. Il se joue des personnes alignées sur les bancs. Mais il nous entraîne au fin fond de la conscience de ces hommes. Pas de femmes dans ce monde des juges en danger ? Si puisque Francesca Morvillo, épouse du juge Falcone, fut tuée dans le même attentat que son mari en mai 92. Fabio Alessandrini tresse des vies plus anonymes, des êtres qui ont dû faire face, sans répit, à la corruption corrosive, à la « pieuvre », à la mafia omniprésente.
Fabio Alessandrini évoque notamment le destin de Giovanni Falcone, mort dans un attentat, à 53 ans, le 23 mai 1992, et de Paolo Borselino, assassiné deux mois plus tard, le 19 juillet 92. Il avait 52 ans. Mais il mêle donc des vies moins célèbres, des hommes de la justice au quotidien.
On ne sait pas ce que le destin du Juge Falcone peut évoquer aux plus jeunes. Mais ce que réussit Fabio Alessandrini est l’élargissement du propos.
Ses interrogations, au travers du récit, ses questions sur la justice et le sens des combats, son intérêt pour les engagements de personnalités –parfois, souvent, anonymes et peu connues- qui surmontent leurs peurs pour combattre, pour résister, excèdent de loin la seule Italie. Il va au-delà des contours de son propre pays –mais il est aussi un Italien de France- pour trouver l’universalité d’une question : la justice, l’équilibre, le bien, le mal. Comment se conduire ? Que faire de sa vie ?
L’excellent interprète qu’est Fabio Alessandrini donne son tranchant et son humanité à ces questionnements, à ces enregistrements des faits. Il se déplace, change. Il est au plus près et ne semble pas craindre la proximité des regards. Il a du métier et de la grâce. Il défend son propos, mais sans rien surligner.
Il n’évoque pas seulement les années de plomb, mais le présent. Ici et maintenant. Il nous mène par le bout du nez, nous bouscule. Il affronte la réalité. Vue par lui, elle est cauchemardesque. Mais n’est-ce pas la vérité ?
Théâtre de la Reine-Blanche, du mercredi au dimanche, jusqu’au 1er mai, à 19h00. Durée : 1h15. Tél : 01 40 05 06 96 ; reservations@scenesblanches.com