Vérités crues, sobriété de jeu

Au Théâtre des Lila’s, l’été est consacré pour l’essentiel à des écrits de femmes. Mais nous avons choisi l’adaptation de « 160 000 enfants », texte du juge Edouard Durand, dans lequel il rapporte sans pathos la situation des jeunes, abusés, en France, aujourd’hui.

Il y a, cet été, dans les différents spectacles proposés dans le off (plus de 1600, rappelons-le), parmi les créations, des thèmes qui renvoient aux déchirements de la société. Des thèmes, qui, depuis quelques années, ont pu paraître à la surface. Ils existaient, mais ils étaient tus.

Beaucoup d’enquêtes, de témoignages. Ils ne sont pas tous d’une force « théâtrale » intéressante. On a le sentiment que les artisans de ces propositions ne lisent pas les journaux, ne se renseignent pas sur la réalité de notre société et pensent révéler des faits, en jouant des situations plus ou moins bien ficelées. L’écriture, souvent, n’est pas au rendez-vous.

Avec 160 000 enfants, dans la simplicité d’une parole partagée par trois interprètes, sur une scène nue, on est pris de plein fouet par la crudité d’un rapport sans euphémismes. Le juge Edouard Durand, avec 160 000 enfants, violences sexuelles et déni sociale, dresse l’implacable constat de la situation des enfants abusés, aujourd’hui, en France. C’est épouvantable. Il a été, trois ans durant, le responsable des travaux de la CIIVISE, Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Il maîtrise la réalité.

Cécile Morel a adapté le texte et le met en scène et le « joue ». Le dit, plus exactement. Comme les deux jeunes comédiennes qui l’accompagnent, Nacima Bekhtaoui et Isis von Groeningen. Rien, aucun effet. La parole crue, précise, dérangeante. La description des faits. Jusqu’à l’insoutenable et c’est d’autant plus insoutenable que les trois interprètes ne cherchent en rien du sentiment, de l’émotion. Elles sont d’une sobriété sans faiblesse. On prend d’autant plus violemment les coups.

Cécile Morel possède la blonde autorité d’une adulte, rompue au jeu et qui a conçu ce moment. Elle est sensible et ferme dans sa manière de dire, de se déplacer. On connaît un peu Nacima Bekhtaoui, par le cinéma, par le théâtre. Une belle brune, déliée, à voix prenante et finesse d’émotion. Une belle actrice au jeu irisé et fin. On ne connaissait pas du tout Isis van Groeningen, 18 ans, encore à l’école du théâtre. Musicienne, elle a composé la chanson qu’elle interprète, en nuances délicates. Un regard très pur, une jolie présence. Une promesse.

Aucune des trois ne faiblit devant la force radicale de ce qui se dit. Un grand moment de théâtre.

Théâtre des Lila’s, 8 rue Londe, 84000 Avignon. A 12h40, jusqu’au 21 juillet. Relâches les 8 et 15 juillet. Durée : 55 minutes. Texte dans la collection « Tracts », N°54, Gallimard. Tél : 04 90 33 89 89.