Victor de Oliveira, tours et détours de l’Histoire

Comédien né au Mozambique, passé par le Portugal, installé en France, il a énormément travaillé. Avec un texte qu’il a écrit et interprète, seul en scène, il subjugue. Limbo signifie-t-il « Les Limbes » ?

On peut être bouleversé par un spectacle, saisi, attentif de toutes ses fibres, on n’en est pas moins traversé par des pensées prosaïques. Ainsi, face à l’immobilité totale de Victor de Oliveira, debout, sans aucun appui, disant son propre texte, une heure quinze durant, repense-t-on soudain à l’époque où la toute frêle Isabelle Huppert interprétait 4.48 Psychose de Sarah Kane, sous la direction anxieuse de Claude Régy. Elle portait un tee-shirt bleu, sur un pantalon et des chaussures de sport. Désireux jusqu’à la maniaquerie que l’actrice demeurât immobile, le directeur avait fait plomber les chaussures.

Victor de Oliveira est un comédien que l’on connaît très bien en France. Mais son abnégation le conduit à se fondre dans des groupes, des troupes.

Ici, on ne peut le rater. Il est seul. Sur le plateau du petit théâtre de la Colline, il se tient à jardin, corps un peu tourné, mais semelles au sol, toujours. Derrière, au fond, un écran, des images. Devant, et l’enveloppant, lumières et ombres projetées sont comme le moteur d’un dialogue silencieux sinon muet.

Limbo, on ne sait pas ce que cela veut dire. Mais en écoutant, on devrait comprendre. Or, Victor de Oliveira se révèle, rapidement, non pas simplement comme un comédien qui écrirait. Il possède une puissance d’écrivain. Et c’est par cette écriture fluide et très évocatrice, qu’il maîtrise le récit de sa vie, le récit du destin du Mozambique, du Portugal, qu’il analyse, sans discours, les aléas de l’Histoire, colonisation et décolonisation, montée des régimes durs, révolutions, en deçà et au-delà des Oeillets…

Nous sommes invités à écouter un récit. Grande Histoire et histoire des humbles. Bonheur des vies, splendeur fascinante de l’Afrique -le grand sujet c’est elle, l’Afrique- guerres, violences, antagonismes des tribus, croyances animistes, transferts des us et des manies, magie, sorts, espérance déçues, désirs jamais apaisés, injustice, écrasement des moins solides. Bref, l’histoire des XIXème et XXème siècle. Histoire des héritiers qui se sentent coupables, confusément.

On est happé d’entrée par la parole du narrateur, par l’art de Victor de Oliveira, un chaman des lointains à la Colline, mais un européen, aussi, un lusitanien, un français qui cisèle une langue séduisante. Limbo dit les limbes, mais dit d’abord les frontières, les bords. Jusqu’à ce bord où l’on pourrait basculer et disparaître corps et âme, c’est là que nous mène ce poète aux pieds légers qu’est Victor de Oliveira, un enchanteur.

La Colline, Petit Théâtre, mardi à 19h00, du mercredi au samedi à 20h00. Durée : 1h15. Jusqu’au 8 février. Tél : 01 44 62 52 52.

Ou : billetterie.colline.fr