Le génie des courants d’air

Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning s’embarquent sur le frêle esquif de « Je suis le vent » de Jon Fosse. Une heure jubilatoire.

On ferait des kilomètres pour aller voir ces deux géants gentils de la scène que sont Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning. Le premier est l’un des fondateurs de tgSTAN, l’autre appartient à Maatschappij Discordia.

De l’une à l’autre équipe, des collaborations larges et aussi des propositions telle que celle que l’on découvre dans la salle du haut de la Bastille. Salle que Damiaan De Schrijver découvre ! « C’est ma première fois en haut ! » dit le colosse rieur. tgSTAN a très souvent été en bas, dans la grande salle, parfois complètement transformée. Même chose pour le strict camarade, moins imposant physiquement, mais tout aussi aigu et formidable.

Ils sont là, tous les deux, lorsque le public grimpe par les deux côtés et va s’installer. Deux tabourets, des bouteilles entre eux, par terre, eau et canettes de bière. Une boîte de cigares. Un cendrier. Ils sont en noir, stylés. Des chaussures noires, vernies, aux pieds. Derrière eux, accroché au mur, un petit cadre dont ils expliqueront à la fin de cette représentation-là, avec adresse amicale au public invité à poser des questions,  qu’ils avaient pensé un moment servir au surtitrage et aux images !

Tout compte…Photo : Tim Wouters. DR.

Evidemment, le texte de l’écrivain norvégien a été traduit par leurs soins avec l’aide de Maaike Van Rijn. Parfois la langue française est là, également. Terje Sinding signe cette version. Mais autant Damiaan De Schrijver aurait pu relever le défi, autant Matthias de Koning se sentait moins assuré.

Or chaque mot compte ici. Un texte étique, maigrelet. Mais qui n’appelle pas autre chose que ce que tentent ces deux interprètes aussi intelligents que malicieux.

 Damiaan De Schrijver le souligne à la fin : le bateau est imaginaire, a écrit Jon Fosse. Pas besoin d’un radeau monté sur verin. Ils ne visent personne, mais on peut prendre de travail tranchant, taillé dans une étoffe de rêve, mais d’humanité et d’angoisse, comme une version remarquable du texte bref, elliptique, énigmatique de Jon Fosse.

Les voici embarqués, et nous aussi… Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning. Tim Wouters. DR.

Vers l’horizon, comme vers la mort. Vers l’espérance comme vers la disparition, la dissolution. Pas la peine d’en faire des tonnes dans le commentaire. Ce serait un violoncelle et un violon, peut-être. Chacun ici conserve sa puissance très personnelle. On est admiratif, comme devant des sauts périlleux engagés d’une manière faussement désinvolte…

Pâles sont les sur titrages, mais dans cette petite salle on les déchiffre sans problème. Cela fait penser à la barque d’amour du vieux Krapp de Beckett…

A la fin, des images d’un duo comique. On vous laisse le soin de les découvrir. Deux grands clowns dans une situation en clin d’œil à nos embarqués…

Quand l’interprétation est aussi fine, la distance aussi juste entre le jeu et la vérité métaphysique qui concerne tout le monde, alors on a son content de grand théâtre. Un grand vent du large, qui nous emporte, mine de rien.

Théâtre de la Bastille, salle du haut, à 19h00 jusqu’au 26 juin. Relâche les dimanches et lundis. Durée : 1h00. Tél : 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com