« Le Misanthrope » dans la lumière d’Alain Françon

Le metteur en scène a réuni une distribution remarquable. Dans le rôle d’Alceste, Gilles Privat est idéal et très bien entouré. Une lecture stricte, fidèle, précise et libre et imaginative.

C’est un bonheur profond que de voir jouer si bien ce Misanthrope, pièce majeure de Molière, pièce souvent reprise, souvent bien mise en scène. Disons-le, la version que nous offre Alain Françon avec la merveilleuse distribution qu’il a réunie, comble tout spectateur, qu’il connaisse la pièce par cœur ou qu’il la découvre.

Dans un décor très sobre qui reflète à merveille le lieu de l’action, un décor de Jacques Gabel, salon classique, peu meublé, quelques banquettes et sièges sur un parquet de marbre noir et blanc (que l’on ne voit pas de l’orchestre), hautes fenêtres à cour, sans doute un tableau accroché côté jardin (vu sur les photographies) : mais si l’on est assis de côté dans la salle, on ne le distingue pas. Ce n’est en rien gênant. Les sorties se font des deux côtés.

Le mur du fond est traité comme une image de forêt qui apparaît plus ou moins clairement. On le distingue, on ne le voit plus. Mais il est là, comme le fracas des cuivres, d’entrée : des éclats qui passent mais que l’on n’oublie pas…

Ce décor de Jacques Gabel palpite des lumières de Joël Hourbeigt qui dégagent l’espace : rien de froid dans tout cela. Quelque chose de l’élégance Grand Siècle, quelque chose de juste pour le jeu.

L’acoustique de la salle de l’Espace Cardin n’est pas la meilleure qui soit et lorsque les personnages tournent le dos au public, on les entend un peu moins clairement. Mais ils sont si précis, leurs timbres harmonieux, leur articulation si claire, leur jeu sont si nuancés et fins, que l’on comprend parfaitement tout…Et que pour une fois, on est touché directement par les grains des voix, sans amplification et trahison de micro.

Les costumes sont du XXème siècle, seyants, même si l’on n’est pas convaincu par le chemisier de Célimène… Mais répétons le qualificatif : quelque chose de juste. Quelque chose qui traduit le caractère des personnages, hors de toute emprise temporelle, or de toute datation. Cela c’est très important pour l’écoute et l’entente ! Une création de Marie La Rocca complétée des perruques et maquillages de Cécile Kretschmar.

La musique de Marie-Jeanne Séréro et le son de Léonard Françon sont très travaillés. Parfois on a le sentiment d’une montée obscure que l’on n’est pas certain de distinguer.

Le premier acte se donne à vive allure et tout démarre très fort, comme la pièce ! Philinthe, Pierre-François Garel et Gilles Privat, Alceste (l’homme aux rubans verts porte simplement une cravate verte) sont dans un échange vif. Le ton est donné et l’on ne lâchera que très rarement, et toujours à très bon escient, ce régime.

Ici chacun incarne et défend avec intelligence son personnage. Les silhouettes ou les figures de complément sont dessinées avec art : Joseph Rolandez, le garde, David Tuaillon (assistant à la mise en scène), Basque, Daniel Dupont, Du Bois. Ils sont très bien.

Oronte et son sonnet, scène cocasse, est très bien inscrite car Régis Royer est sincère et Alain Françon ne veut pas qu’il soit ridicule face à la manière sans détour d’Alceste. A la rugosité d’Alceste très vite présente.

Les Petits Marquis, Acaste, Pierre-Antoine Dubey, Clitandre, David Casada, sont parfaits et très finement décalés. Mais on n’est jamais dans la farce. On est dans une comédie aigüe, féroce, drôle, mais on est dans la réalité d’une société avec ses manoeuvres de pouvoir, de séduction, d’amour…

Les femmes sont superbes. Molière a composé trois beaux personnages et les ces belles sont jouées d’une manière époustouflante. La blondeur de Lola Riccaboni sied à Eliante. Une comédienne merveilleuse, délicate, fraîche et qui maîtrise sa partition.

La grande Dominique Valadié, élégante Arisnoé, est remarquable, comme toujours. Sobre et humaine, et magistrale sans aucun trait appuyé. Une présence profonde, lumineuse. Un régal.

La jeune Célimène, vingt ans, ne l’oublions pas, a toute la grâce et l’alacrité de Marie Vialle, comédienne que l’on aime, que l’on admire, comme ses camarades. Elle est musicale, étourdissante. Mais elle aussi, comme ses amis, dirigée fermement, tendrement par Alain Françon, elle ne surligne pas.

Revenons à Pierre-François Garel, délié, Philinthe réservé et touchant, dans un parcours net et éloquent. Quant à Gilles Privat, il est admirable des premiers aux derniers mots. Il est nuancé et subtil, vrai dans cet art si particulier qu’il a dans la légèreté et la gravité mêlées. Il joue toutes les notes de tout son corps, de tous ces regards, de ses mouvements. Il y a en son Alceste une pureté, une innocence qui sont recouvertes par la souffrance.

Ici, les timbres sont tous harmonieux, les articulations parfaites, la langue de Molière accessible dans sa puissance et son inventivité. Alain Françon, en mille et un détails de jeu, de déplacements, de regards, insuffle une imagination vaporeuse qui donne une force bouleversante à la représentation. Une très grande mise en scène, un spectacle que l’on pourrait revoir sans fin sans se lasser, comme on écoute en boucle une symphonie…Et l’on rit ! Evidemment ! Molière !

Théâtre de la Ville à l’Espace Cardin, à 20h00 du mardi au samedi, en matinée le dimanche à 15h00. Durée : 1h55. Jusqu’au 12 octobre. Tél : 01 42 74 22 77.

theatredelaville-paris.com

En tournée, au Théâtre national de Strasbourg, du 16 au 21 octobre puis du 4 au 9 novembre.

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