Feydeau à la manière des Branquignols

Après La Dame de chez Maxim selon Zabou Breitman tirant le vaudeville vers Tex Avery, voici une autre grande pièce du maître. Lilo Baur, elle, entraîne les virtuoses de la Comédie-Française dans une Puce à l’oreille côté burlesque XXème siècle.

Lundi soir, en pénétrant dans la salle Richelieu, on a cru que l’on s’était trompé… Un chalet cossu avec ses murs de bois chaud, sa belle flambée dans une grande cheminée, une baie vitrée donnant sur des sapins aux branches croulant sous la neige recouvrant aussi le chemin d’accès, un bar musical sur roulettes, une peau d’ours par terre, un canapé vert très années cinquante…Mais oui, c’est exactement le décor de La Souricière la célébrissime pièce d’Agatha Christie, à l’affiche de la Pépinière…

Georges Feydeau qui composa ce chef-d’œuvre souvent repris et dont l’on ne saurait se lasser en 1906, frappé par les spectacles de Léopold Fregoli, qui séjourna à Paris une nouvelle fois en 1905, indique bien que l’action se passe en juin.

Est-ce parce que l’écrivain avait d’abord pensé intituler cette pièce Les Maris des deux pôles que la malicieuse Lilo Baur a pensé…neige ! Est-ce parce qu’elle est suisse ?

On ne sait pas …. Et soyons honnête : les pôles, ici, ne sont pas le nord et le sud, mais deux caractères d’époux très opposés… En tout cas, les décors d’Emmanuelle Roy (La Souricière) et d’Andrew D Edwards (La Puce à l’oreille) sont très voisins. Sauf que salle Richelieu on est dans le monumental et que dans la chaumière des Ralston, il n’y a pas de lit tournant qui soit susceptible de faire disparaître les couples adultères, contrairement à ce qui se passe au Minet Galant, un hôtel très fréquenté…

Trêve de bavardage. Comment est cette production nouvelle de La Puce à l’oreille ? Epatante !

Dans des costumes années 60 d’Agnès Falque, la troupe et en particulier la jeune troupe s’en donne à cœur-joie.

Il paraît que c’est une série américaine qui a poussé Lilo Baur à aller vers les années 60 et elle confie que c’est le film La Panthère rose de Blake Edwards avec Peter Sellers qui lui a donné envie de neige et de montagne….

On rêve parfois sur les décisions artistiques, on s’interroge…Et c’est aussi bête que cela ! La très sagace directrice d’acteurs ajoute aussi qu’elle des souvenirs d’enfance dans des meubles « pop » aux couleurs franches, dont un bar en forme de chariot, avec musique à l’ouverture…

Heureusement que l’on va un peu plus loin, puisque l’on joue Feydeau, vraiment Feydeau. Le froid extérieur attise les coups de chaleur intérieurs et même internes et ici, n’était le sérieux, strict, honnête, bon, loyal, courageux Victor-Emmanuel Chandebise –tout de même titillé lorsqu’il croit que la meilleure amie de sa femme est amoureuse de lui- tout le monde est pris d’une fièvre érotique irrépressible.

L’histoire ? Une histoire de sosie –Fregoli !- inattendue. Victor-Emmanuel, en effet, a un double physique hallucinant en la personne de Poche, homme à tout faire du Minet-Galant, hôtel qui accueille des amours clandestines et où, en tout bien tout honneur, s’aventure son épouse, son neveu, ses amis, ses serviteurs, etc…

Le même comédien incarne donc les deux personnages. C’est l’un des grands attraits de La Puce à l’oreille. On en a vu des as ! Et même Jean-Paul Belmondo qui l’avait joué aux Variétés, il y a plus de trente ans… Au Français, c’est le grand, l’immense Serge Bagdassarian qui endosse le double costume avec une sensibilité, une intelligence, une finesse merveilleuses

Il est très bien entouré.

Hors le cercle de Chandebise qui s’y précipite, s’y bouscule, s’y évite, s’y poursuit, il n’y a que deux pensionnaires à l’hôtel : Baptistin, un vieillard perclus de rhumatismes qui sauve l’honneur des couples en mauvaise posture –le lit tourne, et hop, c’est lui qui apparaît- et puis un certain Rugby, « un original d’outre-mer » qui ne parle qu’anglais et attend une conquête… Bakary Sangaré est le vieux geignard et, le soir où nous avons vu le spectacle, Birane Ba jouait Rugby, entre le boxeur et le jazzman américain ! Savoureux !

Le couple de tenanciers du Minet-Galant est porté par deux grands sociétaires. L’une qui a été remerciée par le conseil de fin d’année, une comédienne qui a déjà travaillé avec Lilo Baur, notamment dans Garcia Lorca (La Maison de Bernarda), Cécile Brune en robe vert sapin et cheveux bouclés, parfaite. L’autre est Thierry Hancisse, dans une partition d’homme assez odieux dont il s’amuse certainement.

La Puce à l’oreille recèle donc ce trésor qu’est un rôle double. Mais il y a aussi, tout aussi jubilatoire et cocasse, le jeune homme qui ne prononce que les voyelles… Camille Chandebise ! Le neveu. Jean Chevalier confirme toutes les qualités qu’il déploie depuis son entrée dans la troupe. Il est formidable car il joue avec sincérité, sans jamais en rajouter !

Pas toujours simple puisque Lilo Baur tire le vaudeville vers les Branquignols (les années 60, décidément !) et qu’il faut se dépenser encore plus !

Mais chacun est d’un talent sûr ici : Nicolas Lormeau, stoïque Etienne qui mène son enquête car lui aussi a « la puce à l’oreille » : est-ce que la jolie Antoinette ne se moquerait pas un peu de lui ? La ravissante Elise Lhomeau est aussi piquante que les bourgeoises qui vont s’aventurer dans une drôle d’histoire…

Anna Cervinka, en tailleur orange, est Raymonde Chandebise, l’épouse. Pauline Clément, en violet, méconnaissable sous son chapeau, son amie Lucienne.  Accordées dans le jeu comme deux clowns, elles aussi savent qu’il faut demeurer sincère même si Lilo Baur en rajoute sur les torrides poussées libidinales qui les tourmentent. Elles sont tellement séduisantes ces épouses qui se libèrent ! Et les comédiennes sont excellentissimes.

La mécanique s’endiable d’autant mieux que la construction est impeccable. On ne le répètera jamais assez. Mais ici, Feydeau ne l’oublie pas, les hommes sont hors de leurs gongs : le médecin obsédé d’Alexandre Pavloff est puissamment et intelligemment interprété. Un régal d’observer les mille et une nuances de son jeu. Quant à Carlos de Histangua, Jérémy Lopez décuple son tempérament furibard et s’amuse sans perdre sa précision. Le beau Romain de Sébastien Pouderoux peut trembler…Lui aussi est idéal !

Bref. Vous l’avez compris, on s’amuse. Pour peu que l’on accepte le parti pris de Lilo Baur : oublier le vaudeville, n’en garder que la base géniale, pour en faire un spectacle d’une grande drôlerie, porté par le talent d’une troupe magistrale. Le public va s’amuser. La jeunesse ne sera pas rebutée par des costumes anciens. Les années soixante, c’est un peu la mode d’aujourd’hui. Mais sans portables. Avec sons et musiques de Mich Ochowiak pour encore plus de nerf et d’éclat !

Comédie-Française, salle Richelieu, à 20h30 en semaine, en matinée à 14h00. En alternance jusqu’au 23 février. Durée : 2h10 sans entracte. Tél : 01 44 58 15 15.

www.comedie-francaise.fr

A noter une retransmission en direct au cinéma le jeudi 17 octobre à 20h15. Rediffusions les 11 novembre à 17h00, 12 novembre à 20h00, 1er décembre à 17h00. Dans deux cents salles partout en France.

Réservations sur pathelive.com ou dans les salles.

No Comments Yet

Leave a Reply

Your email address will not be published.