« L’Heureux stratagème », le charme étourdissant de Marivaux

Ladislas Chollat a réuni de très bons interprètes, en tête desquels Suzanne Clément, Eric Elmosnino, Jérôme Robart , Sylvie Testud et donne à la comédie toute son alacrité.

On ne voit pas souvent L’Heureux stratagème, mais en quelques mois, on en aura découvert deux versions à Paris. L’une, la saison dernière, au Vieux-Colombier, avec la Comédie-Française, l’autre, en ce début de nouvelle saison, au Théâtre Edouard VII, dans un établissement privé plus habitué aux comédies du jour. En effet on a pu y découvrir des pièces de Gérald Sibleyras, Fabrice Roger-Lacan, Florian Zeller, Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, entre autres. Parfois Bernard Murat, puisqu’il a dirigé ce théâtre de longues années et signé les mises en scène, a monté du Feydeau, du Guitry. S’il mit également en scène Marivaux, ce fut, en 1988, à l’Atelier : La Double inconstance avec deux merveilleux interprètes, complices, accordés, Emmanuelle Béart et Daniel Auteuil.

Marivaux va droit au cœur et fait souvent rire. Dans l’immense salle de la Porte Saint-Martin, on a pu applaudir récemment, en 2018, Le Jeu de l’amour et du hasard, mis en scène par Catherine Hiegel. La langue de l’auteur de La Dispute est si belle qu’elle est accessible et fraîche.

A Edouard VII, c’est aujourd’hui Pascal Legros qui a repris la salle et il a donc confié à Ladislas Chollat cette première mise en scène de 2019-2020. C’est Chollat qui a choisi Marivaux et il a réuni de très bons interprètes que l’on est heureux de voir réunis.

« Pièce de la jalousie et de l’infidélité », ainsi que le disait Jacques Brenner, car l’inconstance ici ne concerne que deux des protagonistes : la Comtesse et le Chevalier qui se sont laissés prendre pour un regard et sont prêts à tout pour vivre ce qu’ils pensent être l’amour.

Le stratagème est simple : en simulant la trahison, Dorante, lui qui aime la Comtesse, et la Marquise, qui aime le Chevalier Damis, vont semer le trouble entre la coquette Comtesse et le Chevalier à fort accent gascon qui roucoulent aimablement, oubliant leurs premières préférences…

Ladislas Chollat installe la comédie en trois actes et en prose créée en 1733 dans un décor de fête dans un jardin. Des humeurs nocturnes, un temps pas clairement assignable mais disons XXème siècle, un charme certain. Peut-être s’agirait-il des années folles. Emmanuelle Roy signe le décor, Jean-Daniel Vuillermoz les costumes, Alban Sauvé les lumières. Ajoutons la musique spécialement composée de Frédéric Norel qui accompagne avec délicatesse la représentation.

Ce qui est beau ici, comme souvent chez Marivaux, c’est que le destin des serviteurs est lié à celui de leurs maîtres, et cela complique tout, évidemment ! Il y a aussi un père, ici, Blaise, le père de Lisette, un paysan note simplement l’écrivain. Il est ici campé par Jean-Yves Roan, avec un bel accent que le comédien tient bien, tout en demeurant clair et touchant. Sa fille, c’est la fine et sensible Roxane Duran que l’on retrouve avec joie. Elle est une comédienne très originale. Simon Thomas est un Arlequin attachant, délié et fin et Frontin, valet du Chevalier, est bien dessiné par Florent Hill.

Dans le quatuor des maîtres, Ladislas Chollat, qui signe une mise en scène fluide et dirige avec précision, s’appuie sur de fortes personnalités.

Jérôme Robart a plutôt un accent marseillais que gascon, mais peu importe. Il dit bien le côté un peu braque du personnage et s’amuse, on le sent, à composer sans basculer dans une caricature épaisse. Il s’est donc laissé prendre au charme de la Comtesse qu’interprète avec son intelligence aigüe Sylvie Testud, rare au théâtre.

Dans la partition de ceux qui doivent mentir, Suzanne Clément, qui est canadienne et que l’on connaît par les films de Xavier Dolan –mais elle travaille beaucoup en France depuis quelque temps- est une délicieuse Marquise. On est très heureux de la découvrir au théâtre en France. Elle possède une grâce, une présence piquante qui vont bien à Marivaux.

Quant à Eric Elmosnino, rompu aux classiques, même s’il est moderne de toutes ses fibres, il excelle dans le chemin de Dorante. Il donne toutes les nuances de ce personnage blessé mais qui se défend. Il est remarquable.

Bref, on s’enchante de cet Heureux stratagème, cruel et toxique et le large public d’Edouard VII fait un triomphe aux comédiens.

Théâtre Edouard VII, à 20h00 du mardi au samedi et en matinée le samedi à 16h00. Durée : 1h50. Tél : 01 47 42 59 92. Jusqu’aux fêtes.

theatreEdouard7.com

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