L’art généreux de Simon Abkarian

Au Théâtre du Soleil, il met en scène sa nouvelle pièce « Electre des Bas-Fonds », dirigeant des artistes venus d’horizons divers et accompagnés de musiciens.

La générosité, la beauté, la chaleur, la puissance. Il y a tout cela dans le nouveau spectacle de Simon Abkarian. Il y a l’amour du public à qui l’on s’adresse ici avec un goût du partage très sensible.

Dans la belle salle du Théâtre du Soleil, qu’Ariane Mnouchkine lui offre une fois de plus, celui qui fut un enfant de la troupe avant de devenir très connu par le cinéma et la télévision, nous entraîne sur les traces des héros tragiques qui nous ont été racontés par Euripide et Sophocle.

Simon Abkarian nous propose sa propre version. Il a un sens véritable de l’écriture. C’est un homme de style qui a le goût des images, des métaphores. Il est très inventif et Electre des Bas-Fonds, publiée par Actes Sud-Papiers comme ses textes précédents, marque une étape sensible dans le parcours d’auteur de cet artiste très doué. Il y a une certaine rigueur et une économie relative dans la manière actuelle de l’écriture de Simon Abkarian.

Il se laisse moins griser par le goût de la parole belle. Mais il demeure un poète oriental avec une opulence que l’on ne refuse pas.

Il a réuni une équipe de quatorze comédiennes-danseuses et de six comédiens-danseurs et un trio musical merveilleux, Howlin’Jaws.

Il y a quelque chose d’envoûtant et de somptueux dans la conception de la représentation qui passe très vite malgré les 2h30 des premières : mais déjà le metteur en scène a resserré les scènes et les interprètes, vifs et éblouissants, vont eux aussi circonscrire plus serré certains moments.

Mais c’est si beau, si généreux, si touchant, que l’on demeure sous le charme et que l’on n’a en rien trouvé trop longue la représentation !

Quand on réunit une vingtaine de comédiens, évidemment l’on peut s’appuyer sur de fortes personnalités. Et d’autres sont plus fragiles.

Mais c’est aussi la générosité de Simon Abkarian : il donne leur chance à des jeunes et s’il est assez intelligent et très bon comédien pour connaître les faiblesses de certains et certaines, il les forme au contact de ceux qui ont déjà un long parcours, telle Catherine Schaub qui est la terrible mais pourtant humaine Clystemnestre…

Dans un coin du plateau, la nourrice veille. C’est Maral Abkarian –sœur de Simon. De l’autre côté se tiennent les musiciens, formidables et qui mériteraient un article à eux seuls…Djivan Abkarian, contrebasse et chant, Baptiste Léon, batterie et chœurs, Lucas Humbert, guitare et chœurs. Les compositions sont très belles qui laissent sourdre des éclats venus de Méditerranée, d’Asie mineure…Et ils ont de belles présences.

Fidèle artiste associé au chemin de Simon Abkarian, c’est le grand photographe Antoine Agoudjian qui signe les photographies du spectacle.

Electre, Aurore Frémont et Oreste, Assaad Bouab, sont très touchants et justes. Il y a en eux la noblesse des enfants blessés. La Chrysothémis de Rafaela Jirkowsky est plus jeune, mais elle a du caractère, une poésie.

Simon Abkarian lui-même apparaît en deux personnages, Sparos et Monsieur Loyal. Son autorité et son esprit font merveille.

Citons encore, entre autres, Eliot Maurel, qui sait tout faire. Mais chacun, ici, enveloppé des lumières de Jean-Michel Bauer, est engagé de toutes ses fibres et séduit.

Il y a évidemment en tout ce beau spectacle un fil droit tiré depuis l’esthétique et les conceptions du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. Mais il y a également la personnalité puissante et rayonnante de Simon Abkarian.

On ne veut pas trop décrire les scènes, l’esprit du spectacle, car il faut se laisser surprendre et submerger… Dans des costumes qui disent l’archaïque Grèce, et au-delà l’Arménie, les interprètes se fondent dans de tournoyantes chorégraphies. Les scènes de groupe sont très bien réglées, les scènes plus intimes sont précises.

Un grand travail, heureux et enthousiasmant, un grand spectacle fédérateur et exigeant. A partager dans la joie.

Théâtre du Soleil, les mercredi, jeudi, vendredi à 19h30.
Le samedi à 15h00, le dimanche à 13h30. Durée : 2h20 sans entracte.
Jusqu’au 3 novembre. Tél : 01 43 74 24 08.
www.theatre-du-soleil.fr
Texte publié par Actes Sud-Papiers (15€).

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