« Nagasaki » ou les vies furtives

Séduit par le roman d’Eric Faye, Olivier Cruveiller l’a adapté, le met en scène avec Barthélémy Fortier, le joue avec Natalie Akoun, Nina Cruveiller, le musicien Laurent Valéro. Un spectacle mystérieux, évanescent, très émouvant.

Dans cette très jolie salle de l’Epée de Bois, au plus près de l’espace de jeu, les ombres, les lumières, les sons, les couleurs de voix, les silhouettes des interprètes, tout prend une force entêtante et saisit sourdement. Au charme de la salle, répond le charme de la représentation. Une salle dite « le studio », ou salle de répétition. Un gradin modeste, une acoustique excellente. Tout ceci convient à la perfection à Nagasaki, adaptation du roman d’Eric Faye qui reçut pour cet ouvrage le Grand prix de l’Académie Française en 2010.

Il s’agit d’une étrange histoire. Monsieur Shimura-San, modeste salarié, célibataire plus très jeune, mène sa vie calme et régulière dans une grande solitude. Un jour, il se rend compte que des denrées disparaissent de son frigidaire. Comment est-ce possible ? Personne ne s’occupe de son ménage, personne n’est censé pénétrer dans « sa » maison de papier.

En technicien, il va piéger l’intrus. Une intruse. Elle s’est réfugiée dans la chambre du fond et dort dans le placard à futons, ne sortant pour profiter du soleil qui pénètre, que lorsque Monsieur Shimura-San est au travail.

Dans des lumières dorées, avec comme élément de décor principal des panneaux translucides qui permettent des jeux d’ombres, le spectacle se déploie tout en douceur. Il y a d’abord le récit de l’homme, prenant à témoin le public en quelque sorte. C’est Olivier Cruveiller, de l’inquiétude, l’angoisse, la colère sourde, l’énervement, la décision, la réplique…à l’acceptation de la vérité. Comme toujours sur une ligne rigoureuse mais sans raideur aucune.

Une atmosphère prenante et quatre interprètes excellents. Photo DR.

Un musicien est présent et accompagne toute la représentation au violon ou au bandonéon. Laurent Valéro signe la composition et l’interprète. Cela ajoute aux dominantes mystérieuses et charmeuses en même temps de ce qui pourrait être un conte fantastique, mais est, au contraire, inscrit dans une réalité. Sociale, dérangeante.

Puis des femmes vont surgir. La même à deux âges de sa vie, dans des costumes presqu’identiques (imaginés par Natalie Akoun).

Grâce de tout l’être, allure de blonde fée de conte, Natalie Akoun est la femme qui s’est installée chez Monsieur Shimura-San. De sa voix tendre, chantant parfois, elle avance, dévoilant peu à peu les raisons de sa présence. Et, avec Nina Cruveiller, jeune génération, on apprend pourquoi cette maison n’est pas comme les autres pour celle qui joue les coucous.

C’est beau, simple, touchant, intelligemment adapté et mis en scène avec Barthélémy Fortier, merveilleusement incarné. Un conte, un songe. Mais le réel aussi.

Théâtre de l’Epée de Bois, Cartoucherie, les jeudi et vendredi à 21h00, samedi à 16h30 et 21h00, dimanche à 16h30. Jusqu’au 15 janvier. Tél : 01 48 08 39 74. Puis au 100, rue de Charenton, du 23 au 25 mars, du 30 mars au 1er avril, du 6 au 8 avril, à 20h00.