Toujours du côté du off

La programmation du 77ème festival d’Avignon nous laisse beaucoup de temps pour le « off ». Une chance, car même les spectacles un peu faibles, sont méritants et certains sont excellentissimes.

Pour un Julien Gosselin, dans son chemin rigoureux et son Extinction vue au Printemps des Comédiens dans des conditions un peu différentes, à une heure très accessible, dans le grand théâtre Jean-Claude-Carrière, alors qu’à Avignon, cela se joue en extérieur à partir de 21h3à et les spectateurs sortent à 2h30/3h00 du matin, ce qui n’est pas idéal et interdit les spectateurs avignonnais qui travaillent. Ceux qui ont toujours été oubliés. Pour Julien Gosselin, pour l’admirable Anne Teresa De Keersmaeker, entourée d’un groupe d’artistes puissants, puissantes, pris dans la constellation des treize interprètes, eux compris, tous bouleversants, on en reparlera. Le spectacle n’avait pas d’autre titre que « création 2023 ». Pour David Geselson et son Neandertal, sans accent, dont nous avons déjà parlé, et qui est très intéressant, combien de moments très faibles, de spectacles réduits à une idée, réduits à une laborieuse rédaction…

Jamais, comme en cette année 2023, le « off » n’a eu, malgré ses outrances, son débordement non maîtrisé, une légitimité…

Au moins y aura-t-on applaudi des comédiens vaillants, des metteurs en scène sincère, un théâtre souvent pauvre, mais qui éclaire le public. Les spectateurs ne s’y trompent pas, qui étaient, dès le 7 juillet, très nombreux dans les salles. C’est pourquoi nous vous proposons une nouvelle mise en lumière. Et c’est à suivre…

Shahada, le 11, 12h15, durée : 1h10, relâches les 13 et 20 juillet, jusqu’au 26 juillet.

Shahada veut dire « témoignage ». Plus précisément : « être présent, être témoin, attester ». Et Fida Mohissen témoigne. Il a écrit un texte dans lequel il reprend son parcours, son véritable parcours de jeune homme né au Moyen-Orient, en Syrie et qui doit un jour choisir l’exil.  On le connaît très bien à Avignon. Il a longtemps dirigé le Gisgamesh, puis le Girasole, avant de devenir en 2016, le compagnon d’aventures de Laurent Sroussi, fondateur du Théâtre de Belleville à Paris, et embarqué avec son ami Fida, dans la folle aventure du « 11 ».

Aujourd’hui, le grand François Cervantès met en scène Fida Mohissen, dans ce texte, et avec, au côté de l’auteur et comédien, l’interprète Rami Rkab, son double, son frère, présence aussi puissante que discrète. On avait déjà assisté à un spectacle écrit par cet homme très sincère qu’est Fida Mohissen, qui se met dans des situations fragilisées, entre Islam, Orient, Occident, Europe tout simplement puisque c’est désormais en France qu’il vit et travaille.

Il y a quelques saisons, on avait découvert Ô toi que j’aime, qui était déjà une interrogation sur des pensées opposées sur le monde, des croyances presqu’ennemies.

Avec Shahada, qu’il sous-titre : « il y a toujours un possible ailleurs », il va au cœur de révélations dérangeantes, mais, allant si loin dans l’aveu, il nous aide à comprendre notre temps. Dans la mise en scène du délicat et amical François Cervantès, c’est Rami Rkab qui porte l’essentiel du message…Il est précis, aigu, tendre. Lui aussi donne le sentiment d’une sincérité et d’une offrande de lui-même à l’écoute… Un grand moment qui nous éclaire sur notre temps. Au plus complexe de nos sociétés occidentales.