Avignon, suivons le fil du off

Il y a les spectacles déjà vus, lors de leurs furtives naissances, à Paris, il y a ceux que l’on découvre une fois le « off » commencé. Petite suite pour moments intéressants.

Euphrate, Le Train bleu, 12h40, durée 1h10. Relâches les 13 et 20 juillet. Jusqu’au 26 juillet.

Elle se nomme Nil Bosca. Elle est aussi intelligente que fine, sensible. Elle a écrit un texte dans lequel une jeune femme dont le père est turc et la mère française, hésite, se questionne sur son identité. A l’heure du choix d’une vie engagée professionnellement, elle s’interroge. Sous le regard amical de Stanislas Roquette et d’Olivier Constant, pour la mise en scène, de Jane David et Yvan Lombert, assistanat et régie, Nil Bosca est éblouissante. Bouleversante. Elle joue et danse comme elle respire. Depuis la création au Lavoir Moderne, ce bijou d’art théâtral, écriture, jeu, émotion, esprit et sens profond quand on songe aux mouvements de nos sociétés, Euphrate est à voir et revoir. Un spectacle qui nous éclaire, par-delà sourires, rires et larmes. Il apparaît comme plus que jamais d’actualité. Au pur présent.                                                                         

Lalalangue, Théâtre des Halles, 14h00, durée 1h25. Relâches les 13 et 20 juillet. Jusqu’au 26 juillet.

C’est dans la salle de répétitions du Théâtre du Soleil que l’on avait découvert ce texte, signé d’une comédienne connue chez Ariane Mnouchkine et chez Simon Abkarian. Signé et interprété par Frédérique Voruz. Depuis, elle a eu plusieurs fois d’occasion de le défendre et elle a également écrit d’autres pages, d’autres histoires. Ou complété Lalalangue. Il y a, dans la manière qu’a adoptée Frédérique Voruz, conférencière éclairant son propos de projections de photographies, à la manière d’une soirée « diapos », une troublante distance qui ne contredit en rien l’identification qu’elle n’éloigne jamais. On ne se demande qu’après, longtemps après, s’il s’agit bien d’elle et de cette terrible famille française de la deuxième moitié du XXème siècle. Tout sonne vrai tant tout est effrayant, tout tremble. Mais si elle avait tout inventé ? Resterait une magistrale et bouleversante femme de théâtre.

Punk.e.s., La Scala, 17h15, durée 1h35. Relâches les 17 et 24 juillet. Jusqu’au 29 juillet.

Souvent, lorsque l’on parlait du travail de Justine Heynemann, auteure, metteuse en scène, directrice de comédiennes et de comédiens, le mot « douceur » s’imposait. Qu’elle ne travaille que le texte pur ou qu’elle se passionne pour la musique, en même temps. Avec Punk.e.s. et son sous-titre ironique : « ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres », elle plonge en arrière, du côté de la jeunesse de ses aînés et sans doute de ses parents.  L’été dernier Nora Granovski, elle aussi, avait remonté le temps, jusqu’à celui de Janis Joplin.  Avec son amie Rachel Arditi, Justine Heynemann reconstruit le destin d’un groupe très frappant de filles. Des Britanniques. Elles étaient quatre. Elles avaient à l’époque, entre quatorze et vingt ans. Elles furent connues et reconnues, entre 1976 et 1979. Elles se nommaient les Slits. Pas vraiment assez long pour embraser la planète…et pourtant. Elles se nommaient Viv Albertine, Ari Up, Palmolive et Tessa Pollit. Sur le plateau, il y a tout de même un homme, James Borniche, qui chante et joue sa guitare. Il incarne plusieurs figures de l’univers de filles, Mick Jones, Sic Vicious, mais aussi Margaret Thatcher et Léa Salamé…

Et c’est un homme également, le pianiste Julien Carton, qui a composé la musique, passant bien sûr par les titres des Slits et des tubes de l’époque. Ceux des Beatles et des Rolling Stones mais aussi des Sex Pistols ou des Clash, sans oublier The Velvet Underground et leur « femme fatale » !

Rachel Arditi n’est pas « genrée ». Elle est Nora Forster et Patti Smith, mais aussi Dennis Morris et un chauffeur de bus…Charlotte Avias, tout en os et folle excitation, est Ari Up. Pas de doute, une jeunesse, un talent qui « arrachent ». Electrique, survoltée, elle est insensée…comme une rockeuse. Plus calme, et jouant aussi bien basse, violoncelle ou guitare, Kim Verschueren, possède une très belle personnalité, tout comme Camille Timermann, guitare, claviers, chant, jeu. Elle est Viv Albertine. A la batterie, avec un petit accent auquel on croit comme à celui de Paloma, personnage très touchant, Salomé Dienis Meulien, est remarquable. Justine Heynemann s’appuie sur ces talents, mais tient aussi son monde. Un passe un cap avec ce travail.

Ajoutez une scénographie efficace de Marie Hervé, des costumes très 70, et voici une comédie musicale qui enthousiasme la jeunesse qui se bouscule à la Scala, heureuse d’un concert avec histoires d’amour…

Il y a plus de langue anglaise que de français, et, personnellement, on respecte la loi Toubon et on aimerait entendre des adaptations. Naïves, impossibles, cocasses, comme on voudra. Mais du français !