Vanessa Paradis et Félix Moati, deux débutants remarquables, Eric Elmosnino et Gabor Rassov, deux as des planches, donnent à la pièce de Samuel Benchetrit, le scintillement voulu par l’écrivain. La magie illumine la vie
Répondons d’entrée à la question que vous vous posez : « Alors, elle est comment Vanessa Paradis ? » Formidable ! Habituée aux scènes immenses, très fine et juste au cinéma, c’est une audacieuse. Comme l’oiseau sur son trapèze. Elle s’envole, légère, mais elle a de la densité et de la gravité lorsqu’il en faut. Samuel Benchetrit a écrit pour elle Maman. Vanessa Paradis maîtrise à merveille sa partition. Présence, grâce, voix très bien placée, une voix de théâtre, pas sa voix chantée. Une voix aux inflexions graves, posée, qui passe sans micro. Elle impose en finesse cette femme qui a l’air si sage, si équilibrée, mais qui s’est construite sur un gouffre. Une blessure non refermée.
La pièce est composée d’une plume vive et l’on retrouve ce qui fait le style singulier de Samuel Benchetrit : une écriture sans lourdeur, incisive et tendre à la fois, une manière de raconter qui ne s’embarrasse pas de détails inutiles, une histoire qui nous plonge dans le quotidien d’une ville, aujourd’hui, en France, mais qui est discrètement décollée du réel prosaïque. On est en lévitation très légère. Samuel Benchetrit sait apercevoir les miracles sur l’asphalte ou sur le toit des HLM.
Ici, c’est l’héroïne, avec sa silhouette de fée Clochette, qui élabore littéralement un miracle. Elle veut un miracle. Elle veut croire au miracle. Elle veut partager sa conviction qu’une rencontre furtive peut effacer les malheurs d‘une vie, effacer la solitude.
C’est une pièce sur la solitude : au départ, les personnages sont innomés, anonymes. « La femme », « l’homme », « le type », « le gars ». Ils deviendront Jeanne Rivière, Bernard Trompe, Abel, mais chacun à sa manière est seul au départ, même si le couple que forment Jeanne et Bernard est solide, même s’ils s’aiment, il y a de la tristesse dans leur appartement, leurs dîners frugaux à deux…Et lui, merveilleusement joué, tout en nuances, avec l’allure détachée qui lui est propre –c’est sa pudeur- par Eric Elmosnino, s’il a une chose à lui reprocher, c’est qu’elle ne l’appelle plus par son prénom…
On ne va pas vous raconter précisément l’intrigue. Recevez-la ! Ne soyez pas raisonnable ou raisonneur. L’art de Samuel Benchetrit tient à la coexistence d’une vie parfois cruelle et de bouffées fantastiques qui illuminent le quotidien prosaïque comme des ampoules qui clignotent sur un petit sapin de Noël.
Il aime les gens, Samuel Benchetrit. C’est pourquoi, en quelques répliques presque sèches, on prend la mesure des détresses : celle du « type », qui deviendra Abel et à qui Félix Moati, si intelligent et nuancé, donne une évidence déchirante ; celle de « l’homme », qu’incarne de toute sa haute silhouette l’irrésistible Gabor Rassov, écrivain, metteur en scène et comédien, esprit original, essentiel.
Nous n’en dirons pas plus. Il y a du charme, de la singularité, de hauts sentiments, il y a de l’amour pour les autres et des gamineries caustiques quand il s’agit, par exemple, d’évoquer les mamans dans leur grand âge…On rit, on pleure, on a le cœur pincé et on admire…A la fin, tout le monde se lève !
« Maman » au Théâtre Edouard-VII, jusqu’à la fin de l’année. Durée : 1h30. Tél : 01 47 42 59 92. Texte chez Grasset (14€). www.theatreedouard7.com. Du mardi au vendredi à 21h Samedi à 16h30 et 21h Dimanche à 16h.