L’artiste polonais lie en une tresse complexe, les aventures d’Ulysse et celle d’Izolda Regensberg, qui survécut à Auschwitz et souhaita qu’Hanna Krall racontât son destin. « L’Odyssée. Une histoire pour Hollywood », saisit par sa puissance de jeu, son foisonnement et l’éveil de la conscience qu’il suscite en chacun de nous. A voir et revoir.
On sort impatient de revoir ce grand spectacle, en sortant de La Colline. Les presque quatre heures ont passé comme un souffle car Krzysztof Warlikowski, auteur, metteur en scène, directeur d’acteurs, sait mieux que nul autre sans cesse renouveler l’attention. Il bouscule. Il est difficile à suivre, avouons-le. D’autant plus que l’on ne connaît pas la langue polonaise. Il faut beaucoup lire et même si les surtitres sont très bien placés, pas trop haut, on perd tout de même beaucoup du jeu des fabuleux interprètes. Tout d’un coup, une scène en anglais, et tout est plus simple !
Il nous égare volontairement. Il rompt les fils et les renoue. Il tresse ici, principalement, deux destins. Mais, attention, écoutons, regardons le titre de ce spectacle créé il y a un peu moins d’un an en Pologne, dans son théâtre, le Nowy Teart. Entre L’Odyssée et Une histoire pour Hollywood, il y a un point. Comme si le deus ex machina qu’est Krzysztof Warlikowski, juxtaposait, opérait des collisions, frottait deux silex et en faisait jaillir les étincelles de la compréhension.
L’Odyssée, c’est L’Odyssée. Le cher Homère. Des personnages familiers, une histoire que tout européen qui est allé à l’école connaît au moins un peu ! Mais il faut voir comment il les traite et comment ils apparaissent, se diluent, reviennent.
Une histoire pour Hollywood, s’appuie sur deux écrits de l’auteure polonaise contemporaine Hanna Krall : Le Roi de cœur et Les Retours de la mémoire. Sollicitée par Izolda Regensberg, grand caractère qui résista au pire de la guerre, personnalité puissante, force morale et physique, femme qui sut tenir, put tenir, par sa propension même à ne rien accepter, Hanna Krall n’a pas répondu aux attentes de la dame ! Elle voulait qu’Hanna Krall, journaliste remarquable autant qu’écrivain magistral, écrive sa vie et que cela donne lieu à un scénario pour Hollywood. Izolada n’imaginait pas qu’une autre qu’Elizabeth Taylor l’incarnât…
Vous imaginez ? Et encore ! Warlikowski glisse d’autres textes. Par exemple, saisissant au cœur, en ouverture de la deuxième partie, le texte de Curzio Malaparte sur le chien Febo. L’auteur de La Peau a souvent évoqué ce lévrier du Stromboli qu’il avait adopté à Lipari, alors qu’il était en relégation. Qui s’en souvient ? Et qui se souvient aussi que l’écrivain de Kaputt ment : Febo n’a pas été enlevé, n’a pas été victime de chercheurs cinglés. Il a même sa tombe à Capri. Mais rien que ces quelques minutes, données à nu, si l’on peut dire, déchirent le cœur et les consciences.
Nous reparlerons mieux de ce grand manifeste artistique, intellectuel, politique. Répétons-le, il date d’il y a un an : pas de guerre en Ukraine, alors. Et pourtant toute réplique pourrait nous y renvoyer.
Dans une saison marquée par la faiblesse des ambitions des uns et des autres, Krzysztof Warlikowski impose son intelligence et nous rappelle que le théâtre doit être un lieu d’art, évidemment, et dans le spectacle des éléments scéniques aux costumes, la construction des personnages et la grandeur sans faiblesse des comédiens, nous bouleversent. Mais nous sortons réveillés ! Pas le temps, aujourd’hui dans dire plus. Mais courez, courez à la Colline.
La Colline, jusqu’au 21 mai. A 19h30 de mardi à samedi. Durée : 3h45 avec un entracte au bout de deux heures. En polonais avec sur-titrages en français et en anglais. Tél : 01 44 62 52 52.