Rigueur et sensibilité de Samuel Labarthe

Il rêvait depuis des années de porter à la scène L’Usage du monde, de son compatriote suisse, Nicolas Bouvier. Accompagné de projections graphiques et de musiques, le comédien nous rend vivant, drôle, bouleversant le voyage de 1953.

Il est tout de noir vêtu, un pull, un pantalon. Il pénètre dans la salle une fois que tout le monde est installé et s’assied simplement, face au public. Il ne bougera pas. Au fond, face à lui, la table de régie avec un virtuose qui conduit les images, les sons, les musiques, les lumières. Une orchestration impeccable, sous l’autorité de Catherine Schaub qui signe une mise en scène sobre et précise, inventive.

C’est lorsqu’il était pensionnaire de la Comédie-Française que Samuel Labarthe avait abordé en public ce livre unique qu’est L’Usage du monde. Il en avait donné une lecture au Vieux-Colombier, il y a bien des années.

Il gardait en tête le désir d’aller plus loin et de partager au long cours cet ouvrage formidable. « On croit faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait » avait dit Nicolas Bouvier. Il ne se prenait pas pour un écrivain. Il avait pris la route pour témoigner. Oublier peut-être, un chagrin d’amour…mais ceci est une autre histoire.

A l’arrière, souriant, un jeune homme des années 50, plein de fougue et d’esprit. Et Samuel Labarthe, portant ce récit formidable. Crédit : Emilie Brouchon. DR.

Il était parti de Suisse, seul. Il avait rendez-vous à Belgrade avec un de ses grands amis, Thierry Vernet, peintre et dessinateur. Lui, au contraire, allait vers sa fiancée : ils devaient se marier, romantiquement, romanesquement.

Deux garçons des années 50. Avec très peu d’argent : l’un va donner des leçons de français, placer quelques articles, l’autre vendre ses dessins, ses tableaux. Pour dire vite. Pour toute richesse, une Fiat Topolino. La « petite souris » 500…vaillante et increvable, malgré bien des aléas dont certains sont évoqués dans cette adaptation fluide et riche signé Anne Rotenberg et Gérald Stehr.

A l’arrière, la fameuse et vaillante Fiat Topolino…Crédit : Emilie Brouchon. DR.

Il n’est pas simple de donner le sentiment du voyage en demeurant en position de conteur. Mais là est le miracle : par son jeu aussi fin que sensible, sa connaissance parfaite d’un texte qui paraît simple, mais est très écrit, Samuel Labarthe fascine et nous emmène avec lui. Au-delà du récit de Nicolas Bouvier, qui avait en lui, depuis l’enfance, la passion de la connaissance et de la rencontre de l’autre, il y a du style. Un texte d’écrivain. Superbement éclairé par la voix, la manière de Samuel Labarthe. Il y a de la passion, de l’humour, de la jeunesse, dans la pensée magnifique, et dans la modestie, de Nicolas Bouvier et de son camarade.

On pourrait dire beaucoup plus. Raconter plus. Raconter l’histoire de l’édition de ce livre précieux. Raconter au-delà. Mais le plus urgent est de déguster ce moment rare de théâtre, de partage, d’émotion, de lumière.

Théâtre de Poche-Montparnasse, du mardi au samedi à 19h00, dimanche à 17h30. Durée : 1h10. Tél : 01 45 44 50 21.

www.theatredepoche-montparnasse.com