Un moment très original et bouleversant écrit, mis en scène et interprété par Hatice Özer et son père, Yavuz Özer, conteur et musicien, chanteur.
Dans la petite salle du Théâtre de la Tempête, une merveille de spectacle, tout en jeu, musique, chant, un moment d’une apparente simplicité mais d’une profondeur très touchante. Un moment très poétique, mais très politique, également, par-delà l’harmonie et la délicatesse des présences et des images, l’humour enjoué du récit…
Au commencement, une jeune comédienne française d’une famille originaire de Turquie. Son père, Yavuz Özer, qui est sur le plateau, conteur et chanteur s’accompagne au saz, un luth à manche long que l’on nomme Baglama en turc, et que l’on connaît en Anatolie, Irak, Iran, Caucase, Crimée, Grèce, notamment.
Ce père, artisan, a choisi de s’installer en France, en 1986, pour que ses enfants aient un avenir ouvert. C’est dans le Périgord qu’il vit et que ses trois enfants ont grandi. Dans sa communauté, il est considéré comme un « ashik », littéralement un amoureux. Il gagne sa vie comme ouvrier, mais chante et joue son saz dans les fêtes, les rencontres, dans les cafés.
Au commencement, donc, Hatice Özer, une jeune femme fine, déliée, jolie, avec ses cheveux sombres, son teint clair, son regard profond et pétillant, hérité de sa mère, spectatrice attentive. Elle a fait des études d’Arts plastiques et de théâtre, formée notamment dans la structure « 1er acte » créée par Stanislas Nordey.
Elle a déjà beaucoup travaillé, avec Jeanne Candel et Samuel Achache, notamment, Julie Bérès, Mohamed Bouadla, pour n’en citer que quelques-uns. Et puis Wajdi Mouawad qui, à la Toussaint 2018, invite le père et la fille à chanter ensemble. Une première pour eux deux.
Plus tard, son père a accompagné Hatice à la Maison Maria-Casarès, où elle bénéficiait d’un séjour de création. C’est là qu’est né Le Chant du père, présenté en février 2022, au CDN-Normandie Rouen. Elle a fondé sa compagnie, La Neige la Nuit et est très bien entourée. L’équipe artistique est excellente, régie, lumière, son, scénographie, collaboration artistique, regard extérieur. Elle a des amis et amies.
Sur le plateau, à jardin, suspendu à sa potence, le saz, cet instrument ne doit jamais toucher le sol, explique Hatice Özer. Une table, deux chaises. Des verres tulipes pour le thé noir qu’elle servira plus tard.
Mais cela commence face au public, au plus près du public, par le récit d’un cauchemar en pleine mer… Pantalon noir, petit haut un peu plus coloré, elle va procéder à un rituel en sortant d’une grande malle située à cour, une gourde pleine d’un sable ocre-rouge dont elle ceinture le plateau rectangulaire sur lequel elle se déplace pieds nus.
On ne va pas ici détailler chaque mouvement de ce spectacle, de cette célébration très personnelle. Le père ne surgit pas immédiatement. Il est conteur. Il raconte des histoires d’une cocasserie tendre, de gentilles histoires qu’Hatice traduit au fur et à mesure.
Mais c’est lorsqu’il chante que tout prend une force bouleversante. Chant de l’exil, de mélancolie, chant des steppes, de l’Anatolie. On reçoit avec émotion ces paroles qui disent, par-delà les paroles mêmes, la douleur de l’exil. Hatice, elle, apporte ses sourires éblouissants, sa grâce, son admiration protectrice pour son père. Il ne parle pas couramment le français, elle ne parle pas couramment le turc…
Ne déflorons pas ce bref (une heure), grave et fascinant moment de grâce et d’intelligence. Cet après-midi, la dernière à la Tempête et après-demain, une représentation à Bressuire. Ce Chant du père ne peut qu’être repris. C’est un acte rare et magnifique.
Dernière à la Tempête, dimanche 19 février, 15h30. Prochaine date : 21 février, Scènes de Territoire à Bressuire (79).