Œdipe roi, tragique pur

Adaptant Sophocle d’après la version de Bernard Chartreux, Etic Lacascade signe un spectacle dense et puissant, interprété par une troupe talentueuse.

On découvre aujourd’hui un spectacle créé il y a trois ans dans le cadre du Printemps des comédiens. Jean Varela avait offert à Eric Lacascade des conditions de répétition et de travail très intéressantes. C’est en plein air que s’était donné cet Œdipe roi, que l’on a vu à la Scala.

On est frappé d’emblée par une inscription simple et forte d’une scénographie enveloppante mais non envahissante. On pense à un tribunal, des barrières ouvertes qui évoquent des lieux de témoignage. Il y a d’autres éléments, plus hauts, et au fond, une haute porte qui s’ouvre à la fin, pour des paroles conclusives, hors champ de l’espace où tout s’est joué. Sur le plateau, dans les escaliers de la salle, en bordure de la scène.

Emmanuel Clolus signe cet espace sobre et éloquent. Les comédiens, des hommes surtout, portent des vêtements simples, des cache-poussière de toute époque, et les robes sont plus travaillées par Sandrine Rozier, assisté de Marie-Pierre Callies, dans les lumières de Stéphane Babi Aubert. Le son, micros et atmosphère changeante, est sous l’oreille juste de Marc Bretonnière. Une équipe très sûre.

Comme l’est celle des acteurs. On est saisi immédiatement par les interprètes qui prennent à témoin le public, comme s’il était le peuple. Et cette version de Sophocle est si forte, que l’on se sent concerné, sans effort et que la situation de la tragédie résonne de manière profonde avec notre temps. Notre présent même.

Tous sont remarquables, jusqu’aux deux jeunes filles qui ferment l’épisode sanglant. Dans le rôle-titre Christophe Grégoire impose son art ennemi de toute démonstration. Un homme en proie aux doutes, aux cauchemars, aux souvenirs qui insistent mais demeurent insaisissables.

Ce qui est beau, dans la pièce, est que chaque personnage apporte son morceau de faits, de vérités, et que, peu à peu, on est conduit à comprendre. Ainsi, ferme et clair, le Créon de Jérôme Bidaux, le Tiresias touchant d’Alain Haeyer. Dans ses robes séduisantes, Jocaste possède la présence sensuelle de Karelle Prugnaud, très fine et nuancée. Le chœur est présent en deux figures, Alexandre Alberts et Jade Crespy. Sa très haute silhouette domine le plateau, comme un berger venu du lointain du temps : Otomo de Manuel est un être de légende au cœur de la tragédie, car il en détient le secret exact. Ultra-sensible Christelle Legroux est une messagère toute de grâce, elle aussi dénoue les fils.

Simple et très travaillée, claire et directe, l’adaptation parvient à l’esprit et au cœur de chacun. Lointain tragique et proximité des enjeux, cet Œdipe roi  est un remarquable grand moment de théâtre.

La Scala, grande salle, jusqu’au 27 avril, à 21h00 en semaine et à 17h00 le dimanche. Durée : 1h20. Tél : 01 40 03 44 30

www.lascala-paris.fr