Il a souvent joué dans des pièces de Yasmina Reza. Il a rêvé de jouer une femme. Elle a écrit pour lui le monologue « Anne-Marie la Beauté ».
C’est lui. C’est bien lui. Un léger maquillage, un semblant de perruque, le tout imaginé à la perfection par Cécile Kretschmar. Il est assis sur une méridienne, plantée sur le plateau de la petite salle de la Colline. Il recoud sa jupe. Il porte un corsage imprimé sur une combinaison. Il enfilera devant nous cette jupe et glissera ses pieds dans de jolies mules rouges, achetées à Venise.
Un peu plus tard, Anne-Marie videra son sac : que contient-il ? Des pochettes, des petites bourses, des trucs rangés, protégés. Et puis elle se hissera sur des chaussures à haut talon après avoir pris soin de mettre ses boucles d’oreille.
Elle s’adresse à nous, ce qui explique sans doute qu’après « mademoiselle » (« J’articulais parce que j’aimais dire les mots mademoiselle »), il y aura « monsieur » (« Vous savez mon rêve monsieur ? »), etc : nous les spectateurs. Elle remercie que l’on soit venu l’interviewer, mais elle triche : c’est elle qui décide de tout…
Yasmina Reza a écrit pour André Marcon et signe la mise en scène. Elle s’est très bien entourée : Emmanuel Clolus, pour la scénographie, Orjan Wikström pour les peintures, Dominique Bruguière pour la lumière. Un espace simple magnifié par les projections des silhouettes, des tableaux, et l’éclairage qui ne cesse d’évoluer, tout comme la musique qui marque les articulations. Laurent Durupt d’après Bach, Brahms. Tout cela est très élégant, très délicat.
L’écrivain donne la parole à une comédienne qui n’a jamais connu la gloire. Elle doit avoir 70 ans, pas plus. Elle a admiré beaucoup une de ses camarades, Giselle Fayolle. Elle a été jolie, Anne-Marie. Elle a été un bon élément dans des productions professionnelles. Elle a vécu sa vie. N’en disons pas plus car l’intérêt est de découvrir les pensées et les rêves de cette femme. Une femme venue de province, une femme éloignée du monde de la culture, dans sa jeunesse.
« Toujours eu le spectre de la roue qui tourne
Tu commences petites gens et tu finis petites gens »
Pas de ponctuation, pas de logique dans les fluctuations des pensées. Cela doit être rudement difficile à apprendre, d’ailleurs. André Marcon est Anne-Marie. Sans composer. Il est doux, extrêmement doux. Il puise au plus profond de lui-même le féminin. La tristesse, la mélancolie d’Anne-Marie.
On est ici aux antipodes du travestissement : André Marcon, la virilité même, dans d’autres pièces de Yasmina Reza ou le Général Petypon dans La Dame de chez Maxim, que l’on vient d’applaudir au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Et bien sûr les textes exceptionnellement difficiles de Valère Novarina. Ajoutons, et sourions, qu’au cinéma, André Marcon souvent, ces derniers temps, endossé des figures fortes : Philippe Rondot, Louis Pasteur, Charles Pasqua, Jacques Foccart et jusqu’à François Mitterrand !
Quel charme dans ce moment ! Quelle évidence dans l’accord de l’interprète avec le personnage et avec l’encre même de l’auteure. Brève rencontre, grand théâtre.
La Colline, petite théâtre, mardi à 19h00, mercredi au samedi à 20h00, dimanche à 16h00. Durée : 1h15. Tél : 01 44 62 52 52. Jusqu’au 5 avril. Texte publié par Flammarion (12€).