Il avait débuté à quarante ans, avec Marguerite Duras et Claude Régy. C’était en 1977. Depuis, au cinéma, au théâtre, il avait suivi un chemin très personnel. Il vient de s’éteindre et sa présence électrique, poétique, va nous manquer.
Il n’était pas très grand. Assez frêle. Dès qu’il surgissait sur un plateau de théâtre ou de cinéma, il emplissait l’espace. Il avait une voix très particulière. Comme une douce chanson, une plainte tendre, qui envahissait le cœur. Un haut front dégagé soulignant l’ovale du visage. On l’aimait, on l’admirait. Il était unique et bouleversant.
Sa forte personnalité ne l’enfermait pas. En plus de quarante-cinq ans d’engagement dans le jeu, il a incarné des personnages très différents, est entré dans des univers très variés. Il possédait un spectre très large, même si on le reconnaissait immédiatement : un elfe, un poète. « Un enfant expérimenté » disait Peter Brook pour définir un artiste. Axel Bogousslavsky était un enfant très expérimenté, portant ce beau prénom et ce nom bizarrement célèbre comme une traduction de son originalité.
Il avait débuté relativement tard dans le monde de la représentation. C’est Marguerite Duras qui avait distingué cet ami de son fils Jean Mascolo et eut l’idée de le présenter à Claude Régy pour L’Eden Cinéma. A Orsay, où Jean-Louis Barrault avait planté la magnifique charpente de bois que l’on retrouve au Rond-Point où il l’avait installée, surgit Axel Bogousslavsky. Régy ne le lâcha plus. Le Mort, La Trilogie du revoir, Grand et Petit, Par les villages, Ivanov, Intérieur, Le Parc, Georges Bataille, Botho Strauss, Peter Handke, plus tard à nouveau Tchekhov et Maeterlinck, Leslie Kaplan, Victor Slavskine, Gregory Motton, bien plus tard encore Jon Fosse, Arne Lygre, Axel Bogousslavsky donnait aux œuvres de l’air et de la profondeur en même temps.
Délicats et audacieux, Bruno Bayen, Xavier Marchand, Claude Degliame, Jean-Michel Rabeux eux aussi s’appuyèrent sur cette personnalité unique. Jean-Baptiste Sastre, Pommeret eux aussi avaient appelé Axel Bogousslavsky. Et bien sûr Daniel Jeanneteau qui a annoncé la mort de son comédien et ami. Le reste, vous le connaissez par le cinéma, comme le disait le titre de Martin Crimp, en 2019, à Avignon. N’oublions pas Marie-Christine Soma, auprès de Jeanneteau et Julie Bérès dans Lendemains de fête, et Lazare, artiste des chemins de traverse, comme Axel Bogousslavsky.
Il tourna également, avec nombre réalisateurs. On n’oublie pas la regrettée Christine Pascal. Il joue dans Zanzibar. Mais retenez le dernier film, Tout seul sur mon cheval dans la neige, un film-portrait d’Alexandre Barry.
crédit : Radio France
Axel Bogousslavsky était aussi intimidant que singulier. Il appartenait à une famille dans laquelle l’intelligence, l’audace jusqu’à dépasser les frontières des normes sociétales, dominaient. Son père, Serge Bogousslavsky, en 1915, mort en 2010, connut la notoriété comme voleur d’un tableau de Watteau au Louvre. Il s’y était pris un dimanche, le 11 juin 1939, sans problème…Il aimait L’Indifférent et ne supportait pas de le voir en si mauvais état. Cet homme issu d’une lignée de cosaques, graveur, sculpteur et peut-être faux monnayeur, rendit le tableau et fut jeté en prison.
Il eut un autre enfant. Julien. Né en 1954. Devenu un très grand neurologue. Travaillant en Suisse. Publiant sans cesse, connu et suivi dans le monde entier. Mais il avait la passion des livres rares. Il détourna cinq millions de francs suisses, fut démasqué vers 2006 et trainé devant les tribunaux en 2010.
On ne dira pas qu’il était lui aussi un artiste…Enfant, Axel dut se débrouiller seul. On ignore si sa maman, Denise Nusillard, décédée en 1996, put le protéger longtemps. Il vécut d’abord au sein de la famille d’un cheminot du nord de la France avant d’intégrer les communautés de l’Arche de Lanza del Vasto. Il prit la route. Rencontra des situationnistes, fut ouvrier à Billancourt et fit la connaissance de Jean Mascolo, fils de Marguerite Duras. Son destin d’artiste se noua là. Dans l’amitié. Et cela guida sa vie.