Elle était l’interprète préférée de Marguerite Duras qui écrivit des textes pour elle. Mais son registre était aussi large que fin et sa voix mélodieuse. Elle s’est éteinte le 7 avril.
Délicatesse est le mot qui vient d’abord lorsque l’on évoque Claire Deluca, lorsque l’on se souvient d’elle, au moment de la saluer. Cette comédienne discrète et très intelligente, à la beauté classique, s’est éteinte le 7 avril. Elle avait subi, il y a plusieurs mois, une opération de la hanche qu’il avait fallu reprendre, et elle aura souffert, selon ses proches, d’une infection nosocomiale. Elle avait 86 ans.
Ses parents étaient italiens. Les quatre sœurs Deluca grandissent à Nogent-sur-Marne. Claire est l’aînée et montre des dispositions pour le dessin, la peinture. Les beaux-arts demeureront toute sa vie un repère essentiel.
Mais elle choisit le théâtre et entre à l’Ecole Charles Dullin, qui, dans les années cinquante, après la mort du maître, est installée dans les locaux de Chaillot et dirigée par Lucien Arnaud et Monique Hermant. Deux comédiens qui ont travaillé avec Dullin avant d’être engagés par Jean Vilar. Comme Charles Charras, qui est là, lui aussi, bien sûr. Les professeurs, ce sont eux et les autres compagnons du jeune TNP : Jean-Pierre Darras, Jean-Paul Moulinot, Alain Cuny, Georges Wilson et le grand Georges Le Roy, sociétaire de la Comédie-Française, professeur au conservatoire. Parfois, un long jeune homme, déjà une star au cinéma et un interprète bouleversant au théâtre, vient écouter ce maître qui lui a fait travailler Le Cid…C’est Gérard Philipe. Ainsi se souvient Simone Rieutor, une amie pour la vie.
Tel est le monde de la jeune Claire Deluca qui travaille à l’EDF pour payer ses cours, être indépendante. Elle fait aussi un passage, comme une grande partie de sa génération, au cours de Tania Balachova puis entre dans la compagnie Raymond Rouleau, la Communauté théâtrale et joue avec lui de nombreuses pièces qui parachèvent sa formation. Par exemple Et jusqu’à Béthanie de Jean Giraudoux, en 1963, au Montparnasse.
Elle a rencontré René Erouk, le compagnon d’une vie. Et Marguerite Duras qui fera de la jeune femme son interprète préférée.
Avec René Erouk, ils vont jouer Les Eaux et forêts, dans une mise en scène d’Yves Brainville au Mouffetard et, en octobre 1965, ils créent, sous la direction d’Alain Astruc et Maurice Jacquemont, La Musica au Studio des Champs-Elysées. Elle est Anne-Marie Roche, il est Michel Nollet. Claire Deluca va obtenir une première distinction, le prix d’interprétation féminine au festival de théâtre de Barcelone, en 1966.
Dès lors, on peut dire que Claire Deluca et Marguerite Duras vont entretenir un dialogue qui ira au-delà de la mort de l’auteur, puisque la comédienne ne cessera de défendre son théâtre, se battant pour monter des pièces, notamment, ces dernières années, avec Jean-Marie Lehec, à l’Athénée et au Poche. Le Shaga et également un montage très subtil signé de l’interprète elle-même, Duras, la vie qui va.
C’est pour elle que l’écrivain compose Le Shaga et Yes peut-être qu’elle met en scène elle-même, en janvier 1968, au Gramont. En 1976 et 78, Duras reprendra Les Eaux et forêts et signera le spectacle, au Mouffetard puis au Lucernaire. On verra aussi, à l’Espace Kiron, en 1996, une très émouvante adaptation de La Vie matérielle, composée et jouée par elle et Rachel Salik. Et, mais nous n’avons pas vu ce moment, elle a également donné une version scénique d’Hiroshima mon amour, avec Sophie Lahayville : ce fut Nevers, aux Roches Noires, à Trouville, là où l’auteur allait en villégiature….
Mais le lumineux chemin de Claire Deluca ne saurait se circonscrire aux seules œuvres de Marguerite Duras, même si elle fut un témoin essentiel, et aura recueilli, tout au long de leur amitié, des témoignages, des textes, des enregistrements sonores ou audiovisuels. De très précieuses archives qui ont nourri les ouvrages des universitaires. Elle-même participa au colloque de Cerisy-la-Salle en 1993 et témoigna dans des revues, notamment celle de la Comédie-Française au moment de la reprise du Shaga. Elle faisait partie de l’association et du prix Marguerite-Duras.
Jean Anouilh, lui aussi, tenait en haute estime l’interprète fine, élégante, musicale, profonde, émouvante, qu’était Claire Deluca et il l’avait choisie pour jouer L’Alouette, en 1973 puis pour Antigone en 74.
Auparavant, elle a été distribuée dans des adaptations de Dostoïevski, des pièces de Jean-Paul Sartre, Marcel Aymé, Danièle Lord, Jean Cocteau, François Billetdoux, Luigi Pirandello, Dario Fo, Fernando Arrabal, Jean-Jacques Varoujean, Guy Foissy, Henri de Menthon, Virgil Tanase, Henry James et même Agatha Christie. Dans Debureau de Sacha Guitry, mise en scène de Jacques Rosny, elle avait été très heureuse de côtoyer deux années durant, Robert Hirsch. Tous les camarades avec lesquels elle a travaillé, de henri Garcin à Gildas Bourdet en passant par Jean-Paul Cisife appréciaient son intelligence, sa disponibilité, son sens de l’humour et sa spiritualité profonde. Ils disaient tous que Claire Deluca était d’abord une grande et belle âme.
Elle avait vécu avec une exaltation fervente l’aventure de Jeanne au Bûcher d’Arthur Honegger et Paul Claudel, sous la direction du chef Serge Baudo. Un triomphe qui, de Lyon, la conduira à Buenos Aires et Bruxelles. Son amie Simone Rieutor rêvait qu’elles jouent ensemble, avec Catherine Sellers, La Cantate à trois voix… On le voit, un parcours théâtral intense, qui ne lui a laissé que peu de loisirs pour le cinéma ou la télévision. Mais elle n’en avait aucune amertume. Sa vie, c’était le théâtre.