Repris par un jeune comédien et son père, ce lieu privé à la très longue histoire qui avait su se faire une place essentielle dans la vitalité de la création, ferme sans discussion éclairante.
Les Déchargeurs sont l’un des lieux les plus intéressants de Paris. Un lieu où les jeunes talents ont toujours eu leur place, un lieu d’émergence comme l’on dit aujourd’hui, mais un lieu également où des artistes déjà connus viennent proposer leurs spectacles. Il est impensable que l’on puisse se passer de ce lieu.
On soupçonne les derniers repreneurs de ne pas avoir compris qu’un théâtre privé, à Paris, cela coûte très cher et qu’il faut des années pour trouver un fragile équilibre.
Au lieu de se féliciter de voir Les Déchargeurs fréquentés par le public, et notamment de jeunes spectateurs, de voir les journalistes consacrer des articles aux productions, les directeurs jettent l’éponge.
Une dangereuse question immobilière attise les problèmes. Les murs ont été rachetés. Pas question, assure la société, de faire disparaître le théâtre…Qui croire ? Que croire ?
On sait trop que des espaces tels que ceux qui abritent Les Déchargeurs sont d’autant plus vulnérables que se profilent les JO de 2024.
Nous publions ici la lettre ouverte des salariés des Déchargeurs en réponse à l’annonce par le directeur de cette fermeture.
A suivre, évidemment.
Lettre ouverte des salariés des Déchargeurs
Nous, salarié·es du théâtre Les Déchargeurs, soutenu·es par des artistes et professionnel·les, nous prenons la parole sur la situation du théâtre dirigé par Adrien et Daniel Grassard depuis 2020.
Depuis le 4 juillet dernier, nous avons été informé·es (lors d’une réunion provoquée par l’équipe) de la menace qui planait sur Les Déchargeurs, et avons été soumis·es au silence d’une négociation qui se jouait depuis le mois d’avril entre la société Holfim et la gérance du théâtre (sans aboutissement à ce jour).
Adrien Grassard nous a d’abord informé·es que suite à un « oubli » de sa part, le bail commercial du théâtre prendrait fin dans deux ans et non plusieurs années plus tard, comme il nous l’avait annoncé en 2020.
De plus, l’économie fragile du secteur théâtral sert aujourd’hui de prétexte à la direction pour cesser l’activité, jugée non rentable après seulement deux ans d’ouverture au public, sans avoir au préalable essayé de redresser la situation financière et économique du théâtre, et en dépit de l’augmentation encourageante des recettes de billetterie et du taux de remplissage des salles. Sans tenir compte non plus des différentes et régulières propositions de l’équipe pour rendre l’activité plus rentable, en mettant notamment en place une meilleure exploitation du bar, en réduisant les dépenses sur certains postes etc.
En outre, l’équipe, consciente de l’absence inquiétante de volonté de la direction de sauver le théâtre, a proposé aux gérants de constituer un dossier de vente du fonds de commerce, afin d’offrir une chance de pérenniser la ligne artistique du lieu orientée vers l’émergence. Cette proposition n’a pas été prise au sérieux du fait que la négociation de la rupture anticipée du bail qui était en cours à ce moment là permettrait aux gérants de bénéficier d’une indemnité plus conséquente que le montant qu’ils pourraient espérer tirer de la vente du fonds de commerce. A ce jour aucun acheteur n’a été trouvé, aucune démarche concrète entreprise.
Cette décision brutale de cesser l’activité du théâtre a été envisagée par la direction sans que nous ayons au préalable été informé·es. Cette décision non concertée fragilise l’équipe en place qui est, qui plus est, en congés et dont les salaires du mois de juillet n’ont pas été versés et ne le seront que dans un grand délai (d’ici un mois voire deux), nous laissant toutes et tous dans une précarité inquiétante.
Nous sommes sidéré·es du manque de transparence, de communication et d’honnêteté dans cette situation.
Pendant deux années (et neuf mois de construction minutieuse du projet) nous avons tout mis en œuvre avec patience et confiance pour exaucer le vœu d’un jeune comédien de faire vivre un lieu de création, de rencontre et de diffusion artistique. Nous avons, pour beaucoup, accepté d’effectuer de nombreuses tâches qui dépassaient les missions de nos fiches de poste, pour des salaires modestes.
Nous nous interrogeons toujours sur les raisons et la gestion financière qui ont conduit à nous priver de toutes les informations de ces dernières négociations échouées.
Nous sommes déterminé·es à défendre l’histoire de ce lieu culturel indispensable et cette situation traduit une méconnaissance profonde de la singularité de nos métiers. Ils impliquent un engagement total pour les missions effectives, une mobilisation constante auprès des artistes accueilli·es et accompagné·es. C’est aussi une solidarité d’équipe au service d’un projet, la construction de relations sincères et pérennes avec les spectateur·rices, les partenaires, les habitant·es. Lieu d’une très grande importance pour un grand nombre d’artistes et de technicien·nes, c’est aussi leur activité qui est compromise et leur précarité creusée.
Nous interpellons et invitons tous·tes nos spectateur·rices, nos partenaires et les institutions qui condamnent ce type d’agissements, à manifester leur soutien, à nous aider à faire face à l’annonce qui vient d’être faite d’une cessation de toute activité.
Voici la pétition lancée par les compagnies (plus de 3200 signataires au 3 aout)
https://docs.google.com/…/1FAIpQLSe6Jc1XfgB5XX…/viewform
Voici le communiqué de presse d’Adrien Grassard publié le 2 août
Bonjour,
Dans le prolongement de diverses publications intervenues sur les réseaux sociaux aux caractères mensongers voire diffamatoires, j’entendais rétablir la réalité des faits.
Lorsque le fonds de commerce du théâtre Les Déchargeurs a été acquis, le 20 février 2020 soit juste avant la crise du COVID, c’était avec le cœur brave et l’envie profonde d’en faire un lieu pour les jeunes compagnies, animé par une envie de faire différemment, d’offrir une alternative.
Nous avons investi sans compter tant humainement que financièrement durant ces trois dernières années pour œuvrer à ce but précis, et ce, malgré le contexte politique et économique difficile.
Durant la première année d’ouverture postérieure au COVID soit une période délicate avec le Pass Sanitaire et autres obligations contraignantes liées à la crise sanitaire, le public n’a malheureusement pas été au rendez-vous. Nous proposions un système sans minimum garanti, ce qui créait alors, au vu du peu de remplissage, une instabilité financière importante.
Pour autant, nous n’avons jamais cessé de nous investir, croyant fermement à une embellie à moyen terme.
La deuxième année connut une légère embellie, malheureusement encore en deçà de nos espoirs. Creusant le déficit toujours plus.
La situation actuelle, non prévue malgré les complications économiques ayant cours actuellement dans notre entreprise laissait entrevoir l’inversion de la tendance.
L’ancien propriétaire des murs pour des raisons personnelles a décidé de mettre en vente son bien.
Les employés ont en toute transparence été informés du contexte économique délicat et ce à l’occasion de trois réunions.
Notre trésorerie est actuellement mise à mal, fonctionnant à flux tendu et ce malgré d’importants apports en compte courant de l’un de nos associés de référence qui a dépensé sans compter, croyant fermement à notre projet. De plus plusieurs crédits qui auraient dû nous servir comme fonds de roulement nous ont été refusés. Accentuant les problématiques économiques ces derniers temps.
Aujourd’hui, nous n’avons malheureusement plus la trésorerie nécessaire au fonctionnement de l’activité et ne sommes pas en mesure de renflouer les caisses.
Nous avons ouvert des discussions pour trouver un repreneur et assurer les derniers frais de la société, ces dernières n’ont pu aboutir.
C’est pourquoi, aujourd’hui contraint et forcé et eu égard à nos obligations légales, Nous sommes dans l’obligation de déposer auprès du tribunal de commerce une déclaration de cessation de paiements dans les jours qui viennent.
Ainsi, nous sommes dans l’obligation d’arrêter immédiatement toute activité, et donc, d’annuler la programmation qui devait courir de septembre à janvier. J’en suis désolé et j’ai une pensée sincère pour les jeunes compagnies qui devaient passer en notre lieu, je sais à quel point c’est important pour vous, seulement, je n’ai plus le choix.
Nous ne pouvions laisser dire que tout notre possible n’a pas été fait aux fins de sauver le théâtre. Il est vrai que reprendre un théâtre en pleine période de COVID n’a pas été le meilleur timing pour ce faire mais nous croyions fermement en notre projet.
Nous aspirons à ce que ce lieu qui nous est si cher, continue de servir à des activités culturelles qui nous paraissent « essentielles .
Nous remercions sincèrement celles et ceux qui ont fait le lieu durant ces trois ans, et avons été fier de participer à ce projet.