Mélancolie ensoleillée

Elles se nomment Marion Duphil-Barché, Pauline Méreuze, Diane Regneault, Flore Taguiev. Elles incarnent les femmes réunies par Agnès Renaud dans « J’ai si peu parlé ma propre langue ». Par le truchement d’une émission de radio, elles évoquent notamment leur vie en Algérie, avant l’indépendance.

Elles ont été « rapatriées », comme on disait alors. Elles ont dû quitter la terre où elles avaient grandi, pour trouver, en « métropole », autre mot souvent utilisé alors, un accueil froid, de méfiance sinon de rejet. La France métropolitaine n’aimait pas ceux et celles que l’on appelait les « Pieds Noirs ».

Etrange que, tant d’années après, plus de soixante ans après, une femme ait éprouvé le besoin d’évoquer la figure de sa mère et ait construit cette fiction d’une émission de radio, « Radio Soleil », pour la kémia des souvenirs. Mais pas que des amuse-gueule dans cette plongée plus ou moins stricte dans le passé.

Agnès Renaud signe la mise en scène et a participé au premier rang à l’écriture de l’évocation au cœur de laquelle se trouve sa mère, Jeannine Renaud. Elle a entrepris d’interroger sa mère. Assez tard dans sa vie. C’est d’une femme courageuse et aussi libre que permettait la société d’alors, qu’elle dessine le portrait. Ma mère a quitté l’Algérie en février 1962. A 29 ans, elle débarque à Marseille, rejoint Cannes et cherche un endroit pour faire venir sa famille. » Ce sont des descendants d’Espagnols arrivés en Algérie autour de 1850. Jeannine n’a pas connu sur place la fusillade de la rue d’Isly. Cette tragédie date du 26 mars 1962. « Halte au feu ! ». On entend la voix déchirante de ceux qui ont compris que des français pacifiques étaient canardés. Ecrite à plusieurs mains la « pièce » réunit Marion Duphil-Barché, Pauline Méreuze, Diane Regneault, Flore Taguiev. Et puis bien sûr, Jeannine Renaud dont on entend la voix.

Dans un décor léger et efficace de Claire Gringore, avec des lumières de Véronique Hemberger, du son signé Jean de Almeida, et les costumes en clins d’œil de Lou Delville, les quatre comédiennes incarnent des personnages qui ont la tchatche. On parle beaucoup à « Radio Soleil ».  On échange souvenirs, impressions, on commente, on se chamaille. On rappelle des vérités. On transmet des informations inexactes au passage et on le regrette : dans les écoles communales d’Algérie, on n’apprenait pas « nos ancêtres les Gaulois ». Le livre d’histoire alternait les pages d’histoire de l’Algérie et de l’histoire de France ! C’est bizarre comme ce livre a disparu des mémoires.

Il y a plus de sentiment en jeu que de stricte analyse historique dans ce moment vif et coloré, très bien interprété par les comédiennes, toutes unies et chacune bien personnelle. C’est drôle, touchant, sans prétention. Quatre filles très sensibles et charmeuses, avec leurs énergies qui défendent des personnages attachants.

Théâtre de la Reine Blanche, à 19h00 (23, 25, 30 janvier et 1er février), 18h00 (27 janvier et 3 février) ou 14h30 (1 février, représentation scolaire). Tél : 01 40 05 06 96.

reservation@scenesblanches.com

Une tournée suit.

8 février 2024 : Festival Hauts-de-France en scène – Théâtre du Chevalet – Noyon (60)

24 et 25 mars 2024 : Bussy-Saint-Georges (77)