Michel Vinaver, l’éternité et quelques minutes

A l’Artistic-Théâtre, un jeune homme signe sa première mise en scène en reprenant, près de quarante-cinq ans après sa création, Dissident il va sans dire, soit l’affrontement d’un fils et d’une mère dans l’après-soixante-huit.

Disons-le, on n’a jamais oublié la création de la pièce de Michel Vinaver, en 1980, dans un petit lieu, Chez Georges, rue des Cannettes. On retrouvait une comédienne blonde et sensible, Valia Boulay, on découvrait un jeune acteur frappant. Il se nommait Georges Bigot, il était à l’orée de ses années Soleil.

Qu’est-ce que la mémoire au théâtre ? Peut-être est-ce le titre qui nous avait alors accroché ? En tout cas on se souvient comme si cela s’était joué hier, de la douce et lumineuse présence de la mère, de la révolte nerveuse du fils. Le metteur en scène, Carlos Wittig (ou Carlos Wittig-Montero) était arrivé du Chili, en 1973. Il avait choisi l’exil, juste avant le coup d’état de Pinochet. Il avait suivi des cours de cinéma. Il était né en 1951. Il allait mourir prématurément, en 1988.

Jacques Rosner lui avait ouvert les portes du Conservatoire qu’il dirigeait alors et Antoine Vitez, qui y enseignait, l’avait accueilli dans sa classe. Très vite il avait monté des textes et beaucoup impressionné des comédiens à peine plus jeune que lui, par la largeur de ses références et ses dons de pédagogue. Un an avant Dissident il va sans dire, Carlos Wittig-Montero avait embarqué Georges Bigot dans l’étrange aventure de In America Cuicalt, pièce de Xavier Pommeret, commande du metteur en scène à propos de l’histoire du Mexique.

Dissident, il va sans dire, Dissident ? Il va sans dire, Dissident il va sans dire. Michel Vinaver était musicien dans l’âme et jouait sur les infimes variations du titre. Il y a plusieurs manières de dire, d’écrire ce titre, mais demeure la pointe d’ironie sans cruauté que l’auteur mettait parfois dans sa manière.

On ne connaissait Hugo Givort, qui signe ici le son, la scénographie, la vidéo, la mise en scène, que par des images accompagnant les spectacles d’Anne-Marie Lazarini. Et pour cause, il débute…Il a signé des films, mais sur les planches, c’est le premier spectacle qu’il a conçu entièrement.

Dans un mouvement de générosité qui traduit les inquiétudes du débutant, il amoncelle un peu les moyens. C’est très frappant au début : les écrans détournent, font diversion, écrabouillent les paroles. On pense d’abord que le jeune artiste ne se fait pas assez confiance. Ensuite, on comprend qu’il est d’une génération qui conçoit le théâtre comme la mise en œuvre des images, de la musique, des gestes. Rien ne servirait de lui dire qu’ici les mots, la situation, les personnages suffisent.

Une mère divorcée, un père parfois évoqué, un fils qui a 17 ans, puisque la maman dit à un moment, en substance, « l’an prochain tu pourras passer ton permis ». Quelque temps après mai 68. Pas de téléphones portables, pas d’internet, pas de courriels, pas de sms, etc.

Bien dirigé, bien mené, bonnes accélérations, silences, suspens. Elle nous ferait croire à une lassitude certaine. Elle parle un peu haut. Elle donne le sentiment de sa solitude profonde. C’est Judith d’Aleazzo. Il est vif, nerveux, très juste dans toutes ses intonations et les couleurs très changeantes de ses humeurs : Pablo Cherrey-Iturralde est idéal. La mise en scène l’oblige un peu trop à enlever ses pull ou chemise, s’agiter. Ce n’est pas la peine.

Mais tout cela est broutille. On ne veut pas en dire plus ! Une heure et même moins. A écouter, déguster, en se laissant envahir par l’humanité de cette situation datée (oui, cela parle aussi des années 70) et éternelle. Du très beau théâtre, humain, profond, non sans esprit.

Artistic Théâtre, du mardi au dimanche, à des horaires variables. Se renseigner. Durée : 1h00. Tél : 01 43 56 38 32.