« Milk », le lait de la détresse humaine

Le Palestinien Bashar Murkus signe un spectacle d’une force profonde, sans un mot. Six femmes, un jeune homme, une scénographie qui est un protagoniste, de la musique, des lumières et un monde précis qui se dilate à l’universel.

Une œuvre, une grande œuvre d’art, plastique, dramatique, musicale, une œuvre qui s’adresse à chacun, immédiatement. Au cœur, à la sensibilité mais aussi à l’esprit, au raisonnement. C’est un « spectacle ». Le poétique et la politique sont ici liés, indissociables.

Des femmes surgissent, qui portent des mannequins désarticulés, creusés de lacunes comme autant de blessures. Elles les manipulent et l’on comprend d’instinct qu’elles sont des mères portant leur enfant mort. Elles pleureront des larmes de lait. Ce lait en grande nappe souterraine dégagée à la fin, ce lait de la tendresse humaine dont parlait Shakespeare, il est ici celui de la détresse. Un lait qui ne nourrira plus aucun être.

La blancheur ici s’illumine d’autant plus que le décor, fait de grandes dalles couleur anthracite qui, avant les scènes finales, seront dégagées une à une par le seul interprète masculin de cet opus saisissant, un danseur-comédien, tout en muscles longs et énergie athlétique. Il amoncelle les plaques et découvre la nappe blanche, sous le sol.

Une scénographie de Majdala Khoury, qui signe également les sobres costumes, dans les lumières de Muaz Al Jubeh. La musique accompagne ce moment particulier, sans rien paraphraser : une composition de Raymond Haddad qui amplifie le sens, mais n’est jamais commentaire et encore moins décoration d’atmosphère.

En fait Milk est un opéra. L’opéra du monde, l’opéra de la guerre, de la cruauté de notre temps. Bashar Murkus est palestinien. Il dirige le Khashabi Theatre d’Haïfa. Alors, évidemment, l’on pense au Moyen Orient, mais comment ne pas voir ici, tout conflit, toute violence de notre époque et de celles qui nous précèdent et des temps qui viennent.

C’est un geste admirable, extrêmement maîtrisé, conçu par Bashar Murkus, venu précédemment à Avignon avec Musée. Khulood Basel signe la dramaturgie, Abed Al Jubeh est assistant à la mise en scène et Khaled Muhtaseb a conçu les accessoires, mannequins comme fleurs de roseaux.

Mais ce sont les interprètes qui nous saisissent sans un mot. Des visages, des regards, des corps. Saluons les : Firielle Al Jubeh, Eddie Dow, Samera Kadry, Shaden Kanboura, Salwa Nakkara, Reem Talhami, Samaa Wakim.

Avec mention spéciale au danseur, jeune homme né devant nous, espérance radieuse et défaite mêlées comme sont mêlées la vie et la mort, la vitalité rayonnante et l’aspiration au néant.

A trente ans à peine, Bashar Murkus s’impose comme un artiste de visions, de lucidité politique, de puissance poétique. Un artiste grand.

L’Autre Scène, à Vedène. Départ de la Gare routière par bus spéciaux à partir de 13h45, billets sur place (4,50€ aller-retour). Spectacle à 15h00. Dernières les 15 et 16 juillet.  Durée : 1h20.