Le grand écrivain latin, sans doute inspiré de versions perdues de Sophocle et d’Euripide, a composé une tragédie épurée, stricte, puissante que Georges Lavaudant met en scène, s’appuyant sur la traduction de Frédéric Boyer.
Le théâtre est question de mémoire et ne mentons pas, la Phèdre de Sénèque nous a été révélée il y a bien des années, en 1990, par un spectacle inoubliable, dans les dessous du théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis. Daisy Amias signait la mise en scène fascinante de la tragédie, traduite excellemment par Florence Dupont. Depuis, on en a vu une autre version, sous la direction de la très douée jeune metteuse en scène Louise Vignaud, avec Jennifer Decker dans le rôle-titre, à la Cmédie-Française, salle du Studio Théâtre.
Aujourd’hui, c’est une autre traduction que l’on entend. Forte, puissante, belle. Etrange comme en l’écoutant –on n’a pas su que le texte avait été public, et donc on ne l’a pas lu- on est frappée par la présence de la nature, des notations sur les paysages, les météores. Montagnes enneigées, froidures, blizzard, blanc qui insiste, gel…
C’est pourtant dans le noir que Georges Lavaudant installe l’action, une boîte sombre éclairée au fond, un large fond coloré et sur lequel se dessinent des apparitions de silhouettes. Des ombres chinoises, le plus souvent énigmatiques, chimériques, et subtilement menaçantes. Personnages humains, animaux. D’autres moments sont à décrypter sur cette paroi du fond : des textes, lus par Georges Lavaudant lui-même (les amateurs de théâtre connaissent son timbre et ce très léger accent, grenoblois peut-être). De beaux textes. Frédéric Boyer possède le sens du sens, si l’on ose dire abruptement, mais aussi de la beauté de la langue. Récit, avancée de l’action.
Le premier personnage à apparaître est Hippolyte. Torse nu, simplement vêtu d’un pagne court et sombre, athlétique et donnant le sentiment de l’égarement, du désir de fuir au loin, car il déjà dû comprendre, avant la scène de l’aveu de sa belle-mère, qu’il doit échapper au pire, tout en étant persuadé du retour de son père aimé, cet Hippolyte cristallise la pureté, l’innocence. Maxime Taffanel, qui fut élève d’Ariel Garcia-Valdès, a beaucoup joué, sous des directions très différentes et concocté un moment très personnel avec Cent mètres papillon. Dans la pièce de Sénèque, il n’y a pas Aricie…Il n’y a pas d’amoureuse. Le fils de l’Amazone laisse éclater sa haine des femmes…Sa peur sans doute et son ressentiment. Chantre de la nature, sensible à la beauté du monde, des forêts, des paysages de son univers. Le jeune comédien fait preuve d’une maturité, d’une précision de jeu très convaincantes.
Autre scène éloquente, celle de l’apparition de Phèdre sur sa chaise longue, Astrid Bas, familière du monde de Lavaudant, autorité naturelle, beau timbre, sensibilité ardente. On comprend moins sa manière de se tenir dans la première scène. Un détail, d’autant que cela se passe dans la pénombre…
Derrière elle, debout, figure de combattante, personnage extraordinaire, la Nourrice. Haute, droite, aristocratique, Bénédicte Guilbert impose sa très forte personnalité de comédienne et donne à la femme qu’elle incarne, très soutenue par Sénèque comme par le traducteur, le statut de premier protagoniste. Elle tient les fils, cette femme…
Thésée revient. Thésée est Aurélien Recoing. On ne voit pas le temps passer et ce grand homme qu’est le mari trompé par les paroles de sa malheureuse épouse, nous rappelle l’ange du Soulier de Satin. Car aussi féroce soit Thésée, il va s’effondrer en comprenant. Aurélien Recoing est un interprète supérieur dans la sensibilité et les dons.
Enfin saluons Mathurin Volze, le messager. Dans cette tragédie, il occupe une très belle place et il possède un art du jeu, sûr et subtil.
Un très grand et beau moment. Un objet théâtral cohérent, une traduction très sensible et intelligente de la tragédie de Sénèque.
Théâtre de l’Athénée, grande salle, à 20h00 du mardi au samedi, à 16h00 le dimanche. Durée : 1h10. Jusqu’au 22 octobre. Tél : 01 53 05 19 19.
Adresse : athenee-theatre.com
Tournée : 9 novembre à Vesoul, 14 novembre à Caluire-et-Cuire, 28 novembre à Saint-Malo, 1er décembre à Vienne, 5 décembre à Albertville, et plus tard en juin aux Arènes de Cimiez.