Le jeune auteur et metteur en scène dirige plus d’une quinzaine de comédiens dans sa pièce-fleuve « Le Nid de cendres ». Il est sur le plateau, au cœur de ce long voyage de treize heures, comme le public avignonnais les affectionne.
Ce n’est pas tant une question de performance que d’amour du partage. A Avignon, on ne parle pas de « marathon », mais d’embarquement pour la haute mer du théâtre. On en a connu des voyages. Mahabharata illuminé par Peter Brook dans la carrière de Boulbon que l’on découvrait, Soulier de satin enchanté de Paul Claudel, dans la cour d’Honneur, sous le regard aigu d’Antoine Vitez, irruption de Miss Knife dans les interstices d’une Servante qui vous retenait 24 heures, au Gymnase Aubanel, cascade des aventures Shakespeariennes d’Henry IV conduites par Thomas Jolly à la Fabrica.
Après les dix heures magistrales de Ma jeunesse exaltée d’Olivier Py, voici donc le jeune Simon Falguières qui nous demande treize heures de présence à la Fabrica pour présenter son Nid de cendres. Treize heures dont des entractes, des pauses. Trois heures trente en tout. Et peu de glissements.
C’est un travail au long cours, dont une partie du public et de la critique a déjà vu certaines versions de cinq heures. Mais Le nid de cendres n’est pas un spectacle rallongé, même si, soyons honnête, certaines scènes peuvent donner le sentiment de ne pas faire avancer l’intrigue. Sans relâche de plaisir, d’ailleurs…
Une double histoire, deux intrigues séparées dans le temps, des parallèles, des croisements, des correspondances. Ici, le plaisir premier est celui du conte. Du « il était une fois ». Pourquoi ici résumer, éclairer ces deux fils ? L’un des bonheurs de ce théâtre neuf, de ce théâtre du jour, de ce théâtre que l’on n’a jamais vu –en tout cas en grande partie- est le « suspens ». On ne sait rien du destin des personnages lorsqu’ils apparaissent. Et l’on est saisi, happé, on aime ces histoires comme un feuilleton qui nous tient en haleine. Même si l’on a envie d’imaginer, lorsque deux enfants naissent, et sont arrachés à leurs chemins dessinés d’avance, qu’ils se retrouveront à la fin…Simon Falguières aime les naissances : deux accouchements plus un, dans les premiers temps du Nid de cendres.
Simon Falguières, enfant de la balle, éclaire son parcours en disant que son père, qui dirigeait à Evreux une institution où passaient les plus beaux des spectacles, les plus exigeants, l’a jeté dès ses six ans dans la marmite du meilleur théâtre. Papa était né à Avignon et avait connu l’époque Vilar.
Il a de la mémoire, Simon Falguières. Il n’applique aucune recette mais l’on reconnaît qu’il se souvient. Une guide-narratrice enjouée, Sarah, la brune Camille Constantin Da Silva, qui rappelle évidemment l’irrésistible porteuse du « résumé des épisodes précédents » d’Henry IV par Thomas Jolly. C’est ainsi. On apprend le théâtre en voyant des spectacles, comme un cher génie pouvait dire : « la peinture s’apprend dans les musées. »
Il ne s’agit pas d’emprunts, mais de saluts. Simon Falguières possède une personnalité forte. Sur le plateau, il est irrésistible dans plusieurs apparitions qu’il soit un comptable en petits costard gris (mais il est Dieu) ou balayeur en duo comique. On ne peut ici faire l’analyse de chaque incarnation, mais certains dominent. Ainsi l’aîné, John Arnold, aussi grand roi que grand meneur de troupe. Il est le fil qui relie Simon Falguières au Soleil, d’une certaine manière… Et puis face à lui, le diable terrible de Mathias Zakhar, Monsieur Badile –oui, l’anagramme- mais aussi l’autre balayeur, un infirmier, et, entre autres, Dionysos. Frêle, avec juste des os et un visage d’une expressivité large, un regard, une voix, il est un acteur immense. Idéal dans cette partition.
Si l’on a bien entendu et vu, la plupart du temps, les comédiens n’ont pas de micros. Sauf quand ils sont proches de la musique, dans l’avant-dernière partie du spectacle, notamment.
Ou alors, bravo le maître du son, Valentin Portron : ici, on a le grain des voix et ces jeunes femmes, ces jeunes hommes, maîtrisent les répliques, les parcours. Ils ne s’égosillent jamais. Ils ne crient que lorsque la tragédie l’exige. C’est un bonheur profond, de proximité, d’absence de sophistication froide. Que dilate la scénographie d’Emmanuel Clolus et les lumières de Léandre Gans. Et pas trop de musique. Pas de facilité. De la musique, rare sur treize heures, et en direct et bien traitée.
Dans les fils qui nous guident, il y a les frères, faux frères aimants et opposés, Gabriel, Lorenzo Lefebvre et Brock, Charlie Fabert. Les femmes sont aussi sur des chemins essentiels. Anne, Pia Lagrange et ses amis et amies, citons-les, nous y reviendrons. Antonin Chalon, notamment Lorenzo, Mathilde Charbonneaux, de métamorphose en métamorphose, et Bélise, et Manie…Elise Douyère, la brune et délicate Etoile, et Clémence Bertho. Le blond Frédéric Dockès, Didi l’entêté, mais aussi Homère, s’il vous plaît.
Charlie Fournier enchante le public. Il est un président assez couard qui a quitté ses fonctions (et l’Elysée) pour les travestissements. Diseuse de bonne aventure, il est épatant…
Stanislas Perrin se démultiplie, de Jean à Henri, fils aîné du roi. Anne Duverneuil possède l’autorité bousculée de Sophie, paumée, Victoire Goupil est la nourrice et aussi Dorine, entre autres figures de femmes tandis que Pia Lagrange est la Princesse Anne, Charlaine Nezan, Louison, Manon Rey, Julie et beaucoup d’autres.
Espérons n’avoir oublié personne. Ils sont doués, unis, personnels. Ce sont eux qui font que l’on ne lâche pas. Que le public tient jusqu’au bout et se lève pour acclamer le bouquet de talents. Les comédiens désignent leur « patron ». Les applaudissements redoublent. Personne n’a sommeil.
La Fabrica, relâche le 14 juillet, jusqu’au 16 juillet. Texte publié par Actes Sud Papiers.